Les adultes de 18 à 24 ans représentent plus du tiers des parieurs sportifs en 2020, une proportion qui a explosé ces dernières années.
Particulièrement convoités par les entreprises de paris en ligne, ces jeunes, souvent issus de milieux populaires, sont pourtant susceptibles de développer des pratiques problématiques. Décryptage dans une enquête du Figaro du 17 mars (voir 19 mars 2021).
•• Les publicités de Winamax, comme celles de ses concurrents Betclic, Unibet ou Parions Sport ne passent pas inaperçues.
Parier, expliquent ces annonceurs, permet de basculer « dans le game », de faire partie de la communauté des « parieurs » où les « gros gains » apportent un « gros respect »: ces derniers temps, les slogans s’affichent en grosses lettres sur les panneaux publicitaires. Point commun? L’image et le vocabulaire, qui ciblent un public jeune et urbain.
•• « Il est évident que les jeunes sont la population ciblée par les opérateurs de paris sportifs. Les 18-24 ans représentent le tiers des paris sportifs en ligne et la part des jeunes qui jouent est en forte augmentation », confirme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’Autorité nationale des jeux (ANJ / voir 21 février 2021).
Cette tranche d’âge représentait 17 % des joueurs en 2011, 30 % en 2020 et 34 % des parieurs sportifs au troisième trimestre 2020. Près de 90 % d’entre eux sont des hommes.
•• La jeunesse métissée, représentée dans ces spots, est ciblée par un recours à des figures de la culture urbaine : Unibet avec Kylian Mbappé et Neymar ; Betclic avec rappeurs Fianso et Gradur ; Mohamed Henni, ambassadeur de Winamax. … « Toute la concurrence cible cette culture urbaine, de banlieue », constate Isabelle Falque-Pierrotin.
« Aucune campagne publicitaire ou promotionnelle ne cible spécifiquement les jeunes » rétorque le PMU (voir 19 février 2021).
« Les joueurs de paris sportifs et plus spécialement de paris sportifs en ligne sont souvent de jeunes adultes, c’est la raison pour laquelle les communications ParionsSport s’adressent également aux jeunes adultes », explique la FDJ (voir 15 février 2021).
•• « Quand on cible les jeunes des quartiers populaires, on cible des joueurs qui ont un potentiel plus élevé de développer un rapport problématique au jeu », s’inquiète Isabelle Falque-Pierrotin. Les joueurs à risque sont majoritairement des hommes, jeunes, appartenant à des milieux sociaux modestes et ayant un niveau d’éducation et des revenus inférieurs à ceux des autres joueurs, indiquent Santé publique France, l’Observatoire français des Drogues et des Toxicomanies et l’Observatoire des Jeux dans une vaste étude publiée en 2019.
« En ce moment, les gens ont des difficultés par rapport à leurs dépenses. L’angoisse et le stress les poussent à jouer encore plus en pensant que ce sera la solution: c’est l’entrée dans une spirale qui peut être dévastatrice », décrit Jean-Michel Delile, psychiatre et directeur général du Comité d’Étude et d’Information sur la Drogue et les Addictions (CEID), qui met en garde contre la multiplication des jeunes parieurs, un phénomène «très récent», qui a « explosé avec la Coupe du monde 2018 et n’a pas ralenti depuis ».
•• Outre les jeunes adultes au jeu maladif, l’ANJ s’inquiète de la porosité avec les mineurs, alors que tout jeu d’argent est interdit avant 18 ans.
« Quand les opérateurs ciblent le jeune public et utilisent des influenceurs, le message commence à percoler en deçà des 18 ans, et la barrière de l’interdiction s’estompe », estime Isabelle Falque-Pierrotin. L’ANJ pointe les stratégies menées par les opérateurs « sur les réseaux sociaux Snapchat et TikTok, particulièrement suivis par des mineurs ».
•• Pour empêcher cette contamination au public mineur et ralentir la banalisation des paris sportifs, l’ANJ encadre strictement les campagnes de communication des opérateurs.
Un décret du 4 novembre 2020 interdit ainsi « les pubs qui banalisent ou valorisent le jeu, qui indiquent que le jeu valorise la réussite sociale, ou qu’en jouant, on peut gagner sa vie », résume Isabelle Falque-Pierrotin. Il proscrit également toute publicité mettant en scène, incitant au jeu ou simplement orientée vers les mineurs, ainsi que la « mise en scène de personnalités ou personnages appartenant à l’univers des mineurs » …
•• L’ANJ contre-attaque également sur ce terrain en faisant appel au youtubeur HugoDécrypte.
Fin février, il a adressé à ses 922 000 abonnés sur Instagram une mise en garde contre les dérives possibles des paris. Dans son message, le vidéaste alerte également ses jeunes abonnés sur la multiplication des pronostiqueurs « professionnels » et contre lesquels l’Autorité des Jeux se mobilise.
« Nous avons identifié cet enjeu comme absolument majeur », martèle Isabelle Falque-Pierrotin. L’activité du pronostic « peut être considérée comme illicite », selon Frédéric Guerchoun, directeur juridique de l’ANJ.
Une directive européenne de 2005, reprise telle quelle par le législateur dans le code de la consommation, indique que « sont réputées comme pratiques commerciales trompeuses le fait d’affirmer d’un produit ou d’un service qu’il augmente les chances de gagner à un jeu de hasard ». Un arrêt de la Cour de Cassation, rendu en 2020, indique que « le seul fait d’affirmer d’un service qu’il augmente les chances de gagner (à un jeu de hasard, ndlr) suffit à caractériser l’infraction ».
« Ainsi, la Cour de Cassation va plus loin et indique qu’il y a lieu de condamner même si la méthode, les conseils proposés, sont efficaces », décrypte le directeur juridique de l’ANJ.