Dans la page « Idées et Débats » des Échos (édition 5 octobre), Jean-Philippe Delsol (président de l’Institut de Recherches économiques et fiscales / IREF) défend l’instauration d’un « noci-score », à la façon des nutri-scores alimentaires, plutôt que de taxer de façon parfois anarchique les produits dangereux pour la santé (voir 5 octobre).
Il classerait les produits en fonction de leur dangerosité et des coûts sociaux subséquents. Nous reproduisons intégralement sa tribune.
« La fiscalité comportementale n’est souvent qu’un prétexte pour taxer.
Le législateur est-il qualifié pour dire quelle voiture nous devons acheter ou ce que nous devons manger ou boire ? L’impôt s’immisce dans nos vies, se fait censeur de nos petits vices du quotidien qui ne sont souvent que de bons plaisirs de la vie. Sauf quand ces vices – l’alcool, la drogue, le tabac…- entraînent des externalités négatives, des coûts de soins ou de nuisances qui justifient que ceux qui les génèrent en paient le prix, ce qui est juste sous certaines conditions.
•• D’ailleurs, l’impôt ne réussit jamais seul à réduire les consommations toxiques. La Finlande est devenue en cinquante ans un des plus importants consommateurs d’alcool d’Europe alors même que ses taxes sur les boissons alcoolisées y sont parmi les plus élevées.
Le Danemark a dû très vite abolir une taxe sur la graisse qu’elle avait instituée en 2011 après avoir constaté qu’elle pesait sur les plus pauvres sans être efficace. Le Mexique a institué en 2014 une taxe sur les boissons sucrées, mais son effet n’a été que provisoire. En France, une augmentation en 2013 de 160 % des taxes sur la bière n’a porté qu’un coup d’arrêt momentané à la consommation, et la taxe qui frappe les sodas depuis 2012 n’a guère eu d’effets.
•• Pour gagner une bataille comportementale, il vaut mieux inciter plutôt que de condamner. Le Royaume-Uni a réduit fortement le tabagisme avec un taux d’imposition sur le tabac le plus élevé d’Europe mais aussi en favorisant, fiscalement, des alternatives à la cigarette, notamment le vapotage et désormais le tabac à chauffer, considéré comme moins nocif.
De même, il n’y a plus que 10 % des Suédois qui fument après qu’ils ont été encouragés à revenir à une ancienne pratique de tabac à sucer, le snus, moins taxé et d’une moindre dangerosité que le tabac fumé.
•• Il faut de la cohérence. Pourquoi en France le tabac à rouler est-il taxé 30 % de moins que la cigarette ?
Pourquoi encourage-t-on les substituts nicotiniques, et trop peu les produits de remplacement de la cigarette qui conservent le geste du fumeur ? Pourquoi le vin supporte-t-il beaucoup moins de droits d’accises que la bière, en pourcentage du degré d’alcool ? Une fiscalité anarchique sur les produits dont elle a pour objet de dissuader l’usage est peu efficace et bafoue le principe d’égalité devant l’impôt.
•• Le consommateur a besoin de comprendre. Un noci-score le permettrait à la façon des nutri-scores ou de la classification énergétique des appartements ou des appareils ménagers.
Piloté par un comité scientifique indépendant, et réévalué régulièrement, il classerait les produits en fonction de leur dangerosité et des coûts sociaux subséquents, selon lesquels les taux d’imposition s’échelonneraient tandis que les produits ou leurs emballages pourraient faire l’objet de couleurs différentes.
Les consommateurs auraient ainsi une information immédiate de la nocivité des produits en adéquation avec leur prix, généralement très dépendants du niveau de taxation.
•• Toute fiscalité comportementale doit être mesurée. Attention de ne pas fabriquer un pays d’anorexiques déprimés en recommandant à sa jeunesse de ne plus manger ni boire grand-chose. Et quand la lutte contre certains fléaux le justifie, il faut en faire peser l’importance aux consommateurs avant de les assommer sous le poids d’une fiscalité susceptible de les détourner vers des produits médiocres et plus nocifs encore.