Moyennant quelques aménagements, l’Autorité de la Concurrence vient de donner à la Française des Jeux son feu vert pour racheter le suédois Kindred et sa marque de paris sportifs bien connue en France Unibet (voir 14 septembre).
Cette acquisition pour 2,6 milliards d’euros – l’équivalent de son chiffre d’affaires annuel – va conforter sa place de numéro deux des jeux d’argent et de hasard en Europe (voir 23 janvier et 23 mars). « Ce sera un nouveau groupe », dit même Stéphane Pallez, sa PDG depuis une décennie. C’est aussi tout le secteur qui sera bouleversé, selon une analyse de Challenges.
•• Un poids renforcé avec un éventail complet de jeux
Car à l’issue de cette OPA amicale, la Française des Jeux couvrira l’ensemble des « verticales » : bientôt numéro trois des paris sportifs en France avec Unibet et ParionsSport, elle est aussi présente dans les paris hippiques sur Internet après le rachat récent de ZEturf.
Et le groupe va devenir un opérateur important des casinos en ligne en Europe, l’activité principale de Kindred. D’ailleurs, le poids de l’international atteindra 20 % de ses ventes avec l’intégration du suédois, contre 6 % auparavant.
Pour valider cette transformation majeure, l’Autorité de la Concurrence exige cependant de la FDJ, qui détient encore pour 20 ans le monopole des paris sportifs en point de vente et celui de la loterie (ses jeux de grattage comme Illiko et ses jeux de tirage comme EuroMillions), de dresser une muraille de Chine entre les activités protégées et celles en concurrence. Concrètement, un joueur ne pourra pas utiliser le même compte ou la même appli pour parier avec Unibet et faire une grille de loto.
•• Une position dominante soigneusement protégée
Ce calfeutrage entre les différentes filiales est un moindre mal pour Stéphane Pallez, au regard de son avantage concurrentiel. « La FDJ est une institution unique en France », souligne d’ailleurs dans une note Sabrina Blanc, analyste chez Bernstein (Société générale), qui prévoit pour cette année une collecte de 22 milliards d’euros. Un prélèvement indolore auprès de 25 millions de joueurs qui rapporte aussi 4,3 milliards de recettes fiscales à l’État, détenteur de 20 % du capital du groupe coté.
Mais ce que les investisseurs financiers apprécient particulièrement, c’est la régulation du marché des jeux en France au profit de la FDJ, notamment sa licence exclusive jusqu’en 2044 qui protège son monopole partiel.
Pour défendre cette position dominante, Stéphane Pallez ne manque jamais de mettre en avant son modèle de croissance responsable. L’énarque, jadis en charge des participations de l’Etat, sait envoyer les bons messages. Après le Loto du Patrimoine, porté par Stéphane Bern et soutenu par le ministère de la Culture, dont l’argent permettra de restaurer et valoriser des sites comme le haras de Saint-Lô en Normandie, ce sera au tour de « Mission nature » de financer grâce à la FDJ des projets en faveur de la biodiversité.
L’entreprise a aussi été un partenaire de premier plan lors des JO de Paris et elle soutient des athlètes de haut niveau comme Alexandre Léauté, multimédaillé en paracyclisme. Elle soigne également ses performances extra-financières comme l’illustre sa note de 100/100 à l’index Pénicaud de l’égalité professionnelle pour la troisième année consécutive.
Et sa dirigeante est très attentive à son réseau de 29 000 points de vente : l’an dernier, elle a lancé une nouvelle offre baptisée Nirio qui permet de payer ses dépenses du quotidien, comme sa facture d’eau, ses impôts, ou son loyer dans les bars-tabacs agréés par la FDJ. « Notre mission d’entreprise est d’être présent dans les territoires avec des services qui s’inscrivent dans l’évolution de la société », insiste-t-elle.
•• La tentation d’ouvrir le marché des casinos en ligne
Le rachat de Kindred lui donne aussi de nouvelles ambitions. Outre sa position renforcée dans les paris sportifs avec Unibet, la FDJ va donc devenir un acteur important des casinos en ligne. Des machines à sous et autres roulettes virtuelles très addictives et interdites en France. Depuis quelques années, de nombreux acteurs illégaux s’y développent de façon vertigineuse.
Selon l’Association française des Jeux en Ligne (AFJEL) qui réunit les principaux acteurs du secteur, plus de 4 millions de Français joueraient sur ces sites illicites, très difficiles à bloquer, soit davantage que sur le marché légal. Ils n’étaient que 500 000 en 2016. C’est le far-west avec 2 milliards d’euros de manque à gagner pour les opérateurs et des recettes fiscales en moins pour l’État.
Du coup, le président de l’AFJEL, Nicolas Béraud, par ailleurs fondateur de Betclic, plaide pour l’ouverture du marché des casinos en ligne. « C’est le meilleur moyen de faire revenir les joueurs sur le marché légal », affirme-t-il.
Même Stéphane Pallez aurait à y gagner : grâce au savoir-faire de Kindred, la FDJ peut déployer rapidement des machines à sous en ligne. Cette gamme complète de jeux lui permettrait de mieux amortir les importantes dépenses de recrutement et de rétention des joueurs.
« Tout cela nous fait très peur » lâche Philippe Bon, le délégué général de Casinos de France qui réunit les principaux opérateurs comme Barrière et Partouche. « La FDJ va être présente sur toutes les verticales avec une certaine porosité entre ses différentes offres. » Et si jusqu’à présent Bruno Le Maire a toujours refusé l’élargissement de la concurrence sur Internet, son successeur à Bercy pourrait être tenté par d’autres martingales pour remplir les caisses de l’État.