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17 Mar 2017 | Profession
 

Dans l’édition de cette semaine du Point, l’un de ses éditorialistes – Pierre Antoine Delhommais – revient sur la récente prise de position du candidat Emmanuel Macron à propos de la lutte contre le tabagisme (voir Lmdt du 3 mars). Un texte aussi incisif qu’argumenté. 

« Le projet d’Emmanuel Macron est assurément très ambitieux. Non seulement le candidat entend « changer le logiciel »de la France, mais il veut aussi débarrasser le pays de ses vices, ce qui représente, convenons-en, un défi plus grand encore que réduire la dette publique. Il a déclaré que, s’il était élu, il augmenterait de plus de 40 % le prix du paquet de cigarettes, pour le porter à 10 euros, « une frontière symbolique, significative et dissuasive ».

•• Contrairement à d’autres sujets où sa pensée a quelque peu fluctué au cours des derniers mois (colonisation, mariage pour tous, légalisation du cannabis, appartenance à la gauche, réduction des dépenses publiques, etc.), celle sur le tabagisme n’a pas varié. Lors d’un déplacement, en janvier, à Nœux-les-Mines, le fondateur d’En Marche ! avait expliqué que « l’alcoolisme et le tabagisme se sont peu à peu installés dans le bassin minier. Il faut traiter cela en urgence afin de rendre le quotidien de ces personnes meilleur ». Devant la polémique suscitée par ses propos, M. Macron s’était défendu en rappelant que les hommes, dans le Pas-de-Calais, ont une espérance de vie inférieure de cinq ans à celle des Parisiens.

•• De nombreuses études internationales, menées pour les premières d’entre elles en Scandinavie, ont démontré les liens étroits qui existent entre chômage et consommation de tabac. Par le traumatisme psychologique et social qu’il provoque, la dépréciation de soi qu’il entraîne et le stress qu’il génère, le chômage favorise l’addiction à toutes les formes de drogue, en particulier le tabac. En 2014, le pourcentage de fumeurs réguliers s’élevait en France à 48,2 % chez les chômeurs, contre 30,4 % chez les personnes ayant un emploi. Le chômage de masse contribue directement au tabagisme massif et les chômeurs de longue durée sont les meilleurs clients des buralistes. On avait d’ailleurs observé, entre 2005 et 2010, une très forte augmentation (plus de 7 points) de la proportion de fumeurs chez les chômeurs au fur et à mesure que ces derniers perdaient espoir, devant la gravité de la crise économique, de retrouver rapidement un emploi. En résumé, le moyen le plus efficace de lutter contre le tabagisme et ses dégâts consiste à faire baisser le chômage. Et non l’inverse, comme le laisse entendre M. Macron.

•• Il est vrai aussi qu’en tant qu’ancien locataire de Bercy il est parfaitement conscient de la manne que représentent pour l’État français le tabac et l’alcool, qui avait fait en son temps l’admiration de Bismarck : « Quand je songe que l’impôt des boissons en France rapporte 450 millions de francs, que le tabac rapporte presque autant, j’en éprouve une certaine humiliation, et je me dis : est-ce que nous serions moins intelligents que les Français ? ». À l’automne 2012, l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac avait déjà justifié, avec autant de brio que de roguerie, le relèvement brutal des taxes sur la bière et le tabac par des motifs relevant tout à la fois de la santé publique et de l’hygiène budgétaire. Il avait fait un vibrant éloge de mesures capables de contribuer en même temps à l’assainissement des poumons et des comptes publics, de lutter simultanément contre « les déficits chroniques »et « les addictions pathologiques ».

•• Les taxes sur le tabac et l’alcool rapportent à l’État une quinzaine de milliards d’euros par an, trois fois plus que l’ISF. Ce qui rappelle d’abord que les impôts sur les pauvres rapportent plus que les impôts sur les riches. Ce qui veut dire aussi qu’augmenter fortement le prix du paquet de cigarettes, comme le préconise le candidat « ni de gauche ni de droite », ce n’est pas « de gauche » du tout. C’est pénaliser en premier lieu les personnes les plus défavorisées. On comptait, en 2014, 37,8 % de fumeurs chez les ouvriers, contre 18,9 % chez les cadres et professions intellectuelles supérieures. Une différenciation sociale marquée, qui s’explique notamment par le fait que des personnes ayant des … … conditions de vie difficiles sont logiquement moins sensibles aux risques de décès prématuré liés au tabagisme.

•• Le poste de dépenses consacrées au tabac peut peser très lourd dans le budget des ménages : jusqu’à 25 % de leurs revenus pour les 10 % de fumeurs les plus pauvres, mais seulement 2 % pour les fumeurs les plus aisés. Dans ces conditions, des hausses fortes et répétées du prix des cigarettes ont pour conséquence, dans un cercle à proprement parler vicieux, de précariser une part croissante des fumeurs et d’accélérer leur paupérisation. Parce que les taxes sur le tabac fonctionnent comme un impôt régressif qui ponctionne plus les ménages modestes que les ménages aisés, leur hausse constitue un facteur non négligeable d’accroissement des inégalités sociales. Pour une personne fumant un paquet de cigarettes par jour, une hausse de 3 euros de son prix représente une dépense annuelle supplémentaire de 1 095 euros. Soit très exactement le montant moyen de la taxe d’habitation dont M. Macron souhaite exonérer 80 % des Français.

•• Motivée par ce nouvel hygiénisme en vogue auprès de la substantielle composante bobo de son électorat, l’intention d’Emmanuel Macron d’augmenter à 10 euros le prix des Camel et des Marlboro démontre de façon éclatante, pour ne pas dire fumante, qu’il ne suffit pas de s’autoproclamer le candidat des classes populaires pour l’être. Il y aurait d’ailleurs une certaine cohérence idéologique de la part du grand favori des sondages à annoncer prochainement que, s’il est élu, il choisira de baisser de 40 % le prix du paquet de 500 grammes de quinoa ».