Une fenêtre sur l’actualité quotidienne de tous les événements liés directement ou indirectement au tabac
25 Avr 2022 | Observatoire
 

La question de la lutte contre les addictions n’a pas été abordée durant la campagne de l’élection présidentielle, regrettaient juste avant le second tour, dans une nouvelle tribune au Monde (voir 6 avril), Bernard Basset, spécialiste en santé publique (président d’Addictions France), et Amine Benyamina, psychiatre addictologue (président de la Fédération française d’addictologie).

Ils proposent la tenue, durant le prochain quinquennat, d’une convention nationale sur le sujet. Nous la reproduisons (extraits).

•• Parmi les sujets soigneusement évités pendant la campagne électorale, celui de la politique de prévention et d’accompagnement envers les drogues licites ou illicites est l’occasion d’un des plus grands escamotages des réalités auxquelles sont confrontés les Français, surtout les jeunes.

Pourtant, les chiffres de l’Observatoire français des Drogues et des Tendances addictives sont cruels et à la mesure de ce déni : 116 000 morts évitables par an dues au tabac et à l’alcool, 1,5 million de consommateurs réguliers de cannabis, 370 000 personnes en état d’addiction aux jeux en ligne …(…) 

•• On comprend la difficulté que représente ce sujet pour le Gouvernement et pour le président sortant, car cela les obligerait à reconnaître l’échec des discours martiaux pour masquer le vide de l’analyse et l’absence de résultat de la seule mesure du quinquennat en ce domaine : l’amende forfaitaire contre les usagers de cannabis.

Ce serait aussi reconnaître qu’en matière de lutte contre l’alcoolisme la politique suivie a été davantage dictée par le lobby alcoolier que par le souci de la santé publique.

L’absence de réflexion sur les stratégies industrielles des cigarettiers (tabac chauffé,  dispositif permettant d’éviter la combustion, présenté comme moins nocif par les industriels), rachat d’entreprises de cigarettes électroniques) ou le marketing éhonté pour les paris sportifs en ligne, est également passée sous silence au nom de la défense de l’emploi.

Cet évitement a un prix politique

•• Les jeunes générations constatent le décalage total entre des discours frileux et datés, et la réalité quotidienne de leurs vies, surtout dans les quartiers en difficulté en proie à l’économie souterraine et à la loi des dealers. Ces quartiers ont d’ailleurs majoritairement voté pour les candidats qui proposaient une légalisation du cannabis, même si, bien sûr, ce n’est pas la seule raison de leur vote.

Dans les mêmes circonstances, la coalition de gouvernement allemande a choisi de s’inscrire dans une évolution mondiale [elle a annoncé en novembre 2021 qu’elle souhaitait légaliser le cannabis], sans susciter de rejet des électeurs, mais en attirant des jeunes qui voyaient enfin la fin de l’aveuglement.

•• Il ne s’agit pas, dans notre esprit, de promouvoir les drogues, quelles qu’elles soient. Nous en connaissons les risques et les dommages, mais de regretter que le grand rendez-vous démocratique de la présidentielle n’ait pas été l’occasion du débat que le sujet méritait amplement, ne serait-ce qu’en raison du nombre de personnes concernées.

S’il n’est plus temps de faire l’autruche sur le cannabis, d’autres sujets méritent l’attention, par exemple la consommation quasi systématique d’ecstasy dans les lieux festifs, l’usage du protoxyde d’azote par les plus jeunes, ou encore le développement des paris sportifs en ligne, dans la recherche illusoire de gains faciles pour sortir de la pauvreté. Mais une politique de prévention des conduites addictives ne sera crédible que si toutes les drogues bénéficient de la même attention et de la même approche avec le seul souci de la santé publique et de l’intérêt général.

•• Autant pour les drogues illicites, le débat doit être sans a priori idéologique, autant il doit être sans favoritisme économique pour le tabac, l’alcool et les jeux.

La présidence d’Emmanuel Macron a été marquée par l’influence spectaculaire du lobby de l’alcool, qui a lutté avec succès contre toutes les mesures proposées en faveur de l’information des consommateurs et de la prévention. Il en résulte l’absence de message sanitaire sur le risque de toute consommation, la non-augmentation de la taille du pictogramme à l’attention des femmes enceintes, l’absence de mention du nombre de calories et du Nutri-score sur les bouteilles, et le refus d’une mobilisation publique sur le « défi de janvier » (Dry January à la française) [incitant à ne pas boire durant ce mois].

La grande loi de santé publique de 1991, dite « loi Evin », grignotée pendant le quinquennat de François Hollande, avait failli être réduite à néant dans celui d’Emmanuel Macron par une majorité tentée de réintroduire le sponsoring des alcooliers dans le sport. Il est temps, aujourd’hui, de la renforcer.

•• Le débat est nécessaire sur l’ensemble des drogues et sur le cadre législatif d’une politique qui ne soit ni dans le déni des dommages ni dans la défense des intérêts particuliers. Les jeunes générations ne sont pas dupes de ces doubles discours des responsables politiques. Elles méritent qu’on les écoute sur un sujet qui les concerne au premier chef, sauf à les exclure du débat démocratique.

La tenue d’une convention nationale sur les addictions, ouverte et transparente, devrait être un des chantiers prioritaires du prochain quinquennat pour que les jeunes se sentent enfin considérés, à la hauteur des défis qu’ils affrontent.