Menacées un temps par l’État, les boutiques de produits à base CBD ont pignon sur rue, profitant du flou juridique. Mais leur développement anarchique et la qualité de l’offre interrogent.
C’est ainsi que démarre une enquête de Challenges qui … ne cite qu’une fois le réseau des buralistes qui a pris sa place sur le marché en vendant les produits du CBD dans le cadre de la réglementation actuelle. Curieux.
Extraits …
Selon l’Union des Professionnels du CBD (UPCBD), les magasins de CBD étaient 1 200 en 2021, et sont 2 200 aujourd’hui, le double du nombre d’enseignes Franprix. On trouve dans ces boutiques des huiles parfumées, des tisanes ou même des cookies aromatisés, mais surtout des fleurs et des feuilles à fumer, dont les vertus relaxantes sont vantées. Ce business lucratif s’est construit aux frontières de la légalité.
•• En 2020, la Cour de justice européenne tranche : le CBD n’est pas un stupéfiant. Fin 2021, le gouvernement français tente d’interdire par arrêté la vente des fleurs et des feuilles de CBD, mais le texte est annulé un an plus tard par le Conseil d’État, au vu des faibles risques pour la santé publique. Depuis, rien. « Ce n’est plus interdit, mais ce n’est pas encadré », résume Anne Servoir, avocate associée chez Hoyng Rokh Monegier. « Il n’y a pas, à ce jour, de texte précis sur la distribution des fleurs et des feuilles de CBD. » Alors, les boutiques tournent.
Leur modèle est simple et efficace. Les magasins de CBD sont petits, autour de 20 mètres carrés, souvent gérés par une ou deux personnes. La marge brute de 60 % permet de dégager entre 15 000 et 45 000 euros de chiffre d’affaires mensuel, sur des produits d’abord achetés à des fournisseurs européens (Italie, Espagne…).
Surtout, le CBD destiné à être fumé n’est pas soumis à la la fiscalité sur les produits du tabac. « Mais les banques ne nous font pas de prêts, car nous restons classés comme un marché à risque », prévient Paul Maclean, président de l’UPCBD.
•• En ville, les élus grincent des dents. Jacques Jean Paul Martin, maire de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), se souvient d’une mésaventure en 2022 : « J’ai découvert du jour au lendemain l’implantation d’un magasin très visible par les 2 000 gamins du centre scolaire ! J’ai tout de suite pris un arrêté pour bloquer l’ouverture », même si celle-ci a eu lieu quelques mois plus tard.
Valérie Saintoyant, déléguée de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), concède : « il faut que l’on introduise l’interdiction de la vente aux mineurs. » En juin 2023, une décision de la Cour de cassation a déjà prohibé, au grand dam des commerçants, la conduite après avoir consommé du CBD.
•• La qualité des produits vendus questionne aussi.
Anne Batisse, responsable du centre d’addictovigilance de Paris, a analysé en 2023 un échantillon de 250 produits achetés auprès de boutiques de CBD. Elle détaille : « Dans près de 50 % des cas, on n’a pas d’étiquette avec la composition. Et quand il y en a une, elle n’est correcte que dans 19 % des cas. Il y a même des arnaques, comme des cookies sans CBD du tout ! »
Certains emballages revendiquent aussi une dimension thérapeutique, comme le soin des troubles du sommeil. Une démarche interdite : le CBD n’est pas attesté comme médicament. « Il y a des contrôles, mais les administrations publiques ne pourront jamais vérifier l’intégralité des stocks » déplore la spécialiste.
La profession reconnaît ces errements. « Pour respecter le taux maximal légal de THC de 0,3 %, beaucoup lavent leurs fleurs avec des solvants, des produits néfastes et chimiques » soupire Franckie Rugolo. « C’est légal, mais c’est mauvais. » Les néocannabinoïdes, des composants de synthèse – ni CBD ni THC – sont souvent vendus en boutique, profitant du flou légal. « Nous ne sommes pas fans de ces nouvelles molécules », se défend Axel Beduit-Garden, à la tête de la chaîne High Five CBD. « Mais on doit répondre à la demande. Sinon, on va perdre de la part de marché. »
En juin 2023, le HHC a été interdit en France. « Avec ces dérivés, on joue au petit chimiste », déplore Alain Dervaux, professeur d’addictologie à l’université Paris-Saclay.
•• Aujourd’hui, le marché du CBD, longtemps porté par des têtes brûlées solitaires, se structure. L’entreprise High Society, fondée par Mao Aoust, ancien dealer marseillais devenu businessman, revendique 134 boutiques et 21 millions d’euros de chiffre d’affaires. Les plus petits, eux, déchantent.
Selon les représentants du secteur, entre 300 et 800 boutiques auraient fermé en 2023. Certaines villes sont saturées, et les bureaux de tabac se sont mis à la vente. « Ce n’est pas un marché pérenne » juge Laurent Delafontaine, fondateur du cabinet de conseil Axe Réseaux. « Il va devoir s’associer à un autre métier. »
Oui, mais lequel ? Pour le spécialiste des drogues Renaud Colson, l’installation de ces boutiques « prépare en termes industriels, commerciaux et de normalisation, à une légalisation du cannabis récréatif ». La mesure, envisagée un temps par des membres de la majorité présidentielle mais rejetée par Emmanuel Macron, est attendue à demi-mot par bon nombre d’acteurs du CBD pour se positionner sur un nouveau marché lucratif. (Voir aussi 28 octobre et 12 janvier 2023).