Les buralistes estiment qu’ils ont un rôle à jouer dans la lutte contre le tabagisme. Paradoxal ? Objectif du Programme national de Lutte contre le Tabac pour les années 2023 à 2027, présenté par Aurélien Rousseau, ministre de la Santé (voir 28 novembre) : faire reculer le nombre de fumeurs.
Un quart des adultes fument quotidiennement et le tabac est la première cause de mortalité évitable, avec 75 000 morts par an. Le prix du paquet de cigarettes devrait atteindre 12 euros en 2025, puis 13 euros en 2027, et l’interdiction de fumer sera élargie aux abords des écoles, plages, espaces verts et forêts. Des mesures inadaptées, estime Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes de France.
Telle est le texte de présentation de l’interview de Philippe Coy dans le Journal du Dimanche / JDD du 3 décembre que nous reprenons.
JDD : Le prix du tabac va de nouveau augmenter en 2024. Pour vous, c’est une mauvaise nouvelle ?
Philippe Coy : D’abord, je tiens à dire que les buralistes ne sont absolument pas opposés à une vraie politique de santé publique, à condition qu’elle soit cohérente.
Le problème, c’est que tous les gouvernements utilisent la même recette pour faire baisser la consommation de tabac : l’outil fiscal. Et ils se satisfont de voir qu’à chaque hausse du prix du tabac, les ventes baissent. Sauf que, à chaque hausse du prix du tabac correspond une hausse des ventes illégales. Aujourd’hui, jusqu’à 35 % des cigarettes consommées dans notre pays ne seraient pas issues du réseau légal.
Si je dois trouver un point de satisfaction dans les annonces d’Aurélien Rousseau, c’est que, pour la première fois, un ministre de la Santé reconnaît l’existence d’un marché parallèle ! Et il dit qu’il va falloir s’en occuper sérieusement.
JDD : Quelle serait une bonne mesure ?
Philippe Coy : Il faudrait déjà que le prix des cigarettes soit le même partout en Europe. Parce que la santé d’un Français vaut autant que celle d’un Luxembourgeois, d’un Italien ou d’un Espagnol. Il faudrait aussi s’intéresser aux quantités mises sur le marché : quand on voit qu’au Luxembourg, c’est sept fois la consommation totale des Luxembourgeois qui est mise en vente, on se doute bien qu’une grande quantité des cigarettes part ailleurs en Europe.
Nous aimerions aussi voir un soutien plus intense au vapotage qui est meilleur pour la santé que la cigarette. Et, de mon point de vue de commerçant, vendre des produits de vapotage, c’est aussi plus intéressant.
JDD : C’est-à-dire ?
Philippe Coy : Le tabac est un produit réglementé sur lequel nous touchons une commission fixe de 8,15 % du prix public. Alors que sur les produits de vapotage, nous faisons une marge de l’ordre de deux à trois. Un buraliste qui vend pour 5 000 euros de vapotage devrait vendre pour 35 000 euros de tabac pour obtenir la même marge !
JDD : Approuvez-vous l’interdiction de la puff, cette cigarette électronique jetable ?
Philippe Coy : Je ne commente pas l’interdiction, je constate seulement que si nous en sommes arrivés là, c’est parce que ces produits ont été vendus sans contrôle à des jeunes dans des solderies, sur des fêtes foraines, sur des plages même.
Nous, buralistes, ne sommes pas parfaits, mais nous sommes préposés de l’administration et formés. Et nous essayons de tout mettre en œuvre pour ne pas vendre ces produits aux mineurs.
Il faut quand même rappeler que ces cigarettes électroniques jetables sont vendues avec des arômes sucrés imaginés par le marketing pour plaire aux jeunes : bubble-gum, barbe à papa… Ce qui serait dommage, c’est d’interdire tous les arômes plus classiques, comme la menthe ou la fraise, car les vapoteurs n’auraient plus le choix que d’aller vers des arômes de tabac, alors que l’idée est justement de les déshabituer de ce goût.
JDD : Les ventes de tabac sont conjoncturellement en baisse … Comment réussissez-vous à maintenir l’équilibre financier de vos entreprises ?
Philippe Coy : Notre activité repose sur le flux : nous avons des produits et activités à faible marge, il nous faut donc du passage. Avec des ventes de tabac qui reculent de 8 % par an, c’est autant d’occasions en moins de venir chez nous.
Il faut donc trouver d’autres raisons d’attirer les clients : nous recueillons le paiement des impôts et de la fiscalité locale, nous sommes comptoir exclusif pour le compte Nickel, nous distribuons les colis pour La Poste et venons de nouer un partenariat avec Amazon. Nous devrions même bientôt vendre des munitions aux chasseurs !
JDD : Cette diversification porte-t-elle déjà ses fruits ?
Philippe Coy : Oui. Le tabac représente généralement 80 % du chiffre d’affaires d’un buraliste, mais pour certains de nos adhérents qui ont déjà entamé leur transformation, ce n’est plus que 50 %. Cela nous permet d’accompagner bien plus sereinement la baisse des ventes de tabac.
JDD : Beaucoup de bureaux de tabac ont été vandalisés lors des émeutes de juin. Comment s’en sortent-ils ?
Philippe Coy : Un tiers des commerces qui ont été vandalisés pendant les émeutes du mois de juin sont des bureaux de tabac.
Aujourd’hui encore, nous en avons une trentaine qui n’a toujours pas pu rouvrir, avec parfois des situations très difficiles. Sur le plan matériel et économique bien sûr, mais surtout sur le plan humain. Certains buralistes ont été très choqués par la violence dont ont pu faire preuve les émeutiers qui, par ailleurs, pouvaient être leurs clients, comme l’ont montré les images de vidéosurveillance. Psychologiquement, ce fut très difficile.
Je tiens à dire que le Gouvernement a été très présent, avec une aide de 10 000 euros versée aux victimes d’actes de vandalisme dont les commerces ont dû rester fermés plus de trois jours. En revanche, je suis étonné de voir que, dans certaines communes, on refuse aujourd’hui de reconstruire dans les quartiers qui ont été touchés par les émeutes et qu’on nous conseille d’aller nous installer plus loin.
C’est acter le fait qu’il y a des zones de non-droit où l’on va priver les habitants de leurs commerces de proximité. Je trouve cela très grave.