La vapoteuse jetable adorée des jeunes – la puff – doit bientôt être interdite en France (voir 5 décembre 2023). Mais pour le moment, les jeunes se tournent vers des machines toujours plus puissantes et addictives. « Il y a danger », alertent les médecins. Reportage du Parisien de ce 31 décembre.
Devant le lycée parisien Camille-Sée (15ème), une élève de 14 ans tend sa puff nouvelle génération : « C’est une 9K …Tout le monde l’a. » Son réservoir contient 9 000 bouffées (d’où son nom), un format en principe interdit en France avec de la nicotine à haute dose. Mais les ados raffolent de sa version à 2 %, le maximum autorisé.
•• Ce mercredi-là, à la sortie, les vapeurs sucrées s’élèvent le long du trottoir. Trois copains ont le même joujou, sorte de biberon, à embout vert ou rose fluo, décoré d’extraterrestres aux crânes démesurés et yeux rouges exorbités de « Mars Attacks ! », référence à Tim Burton (…) « C’est l’équivalent de 18 paquets de cigarettes ! » bondit le médecin Loïc Josseran, président de l’Alliance contre le Tabac, « c’est dramatique de voir à quel point ces produits créés pour séduire les enfants ont évolué. On est passé de la tapette à souris au piège à loup. »
Une ado redoute le couperet de l’interdiction … mais une idée a l’air de la satisfaire : « Attendez ! On pourra toujours acheter nos 9K sur Insta et Snapchat ! » Le groupe acquiesce, nous montrant aussitôt le compte de leur vendeur sur des réseaux sociaux.
Son profil, suivi par 500 abonnés, exhibe des boîtes bariolées aux saveurs fraise-mangue, ananas-noix de coco ou pêche … Il y a 9 000 bouffées, 12 000 et même 21 000 ! « Livraison désormais dispo dans 60 villes », précise-t-il. « En fait, c’est des lycéens comme nous. Ils nous donnent rendez-vous en bas de chez nous et on récupère la puff », décrit l’un d’eux. « L’affaire est bon marché : 10 à 15 euros contre 25 au tabac ».
•• Chez le buraliste ? Pourtant, ils n’ont pas le droit d’en vendre. Encore moins à des mineurs. « À ma connaissance, on ne propose que des puffs classiques », avance Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes. Mais à quelques mètres du lycée Camille-Sée, le tabac du coin s’est mis à la 9K et même à la 12K. Les stocks viennent d’arriver. « On en vend jusqu’à 12 000 bouffées », détaille la vendeuse au Parisien.
Les magasins de cigarettes électroniques, eux, tournent le dos à ces puffs ultra-fortes, assure Matthieu Cadosh, membre du bureau de la Fédération interprofessionnelle de la Vape (Fivape) : « c’est rare de les trouver dans nos boutiques. On n’y est pas favorables. Leur réservoir ne doit pas dépasser 2 ml, là, on est à plus de 15 ml ! La vape doit permettre de sortir de la cigarette, pas d’y entrer. »
•• À l’approche de l’interdiction, le marché noir s’organise en ligne. Entre élèves. Et aux quatre coins du pays. Instagram, transformé en supermarché, brade ses 9K à Paris, Lyon, Bordeaux, La Rochelle, Nantes … : « remise en mains propres », « colis 5 euros ».
Une marque en particulier s’affiche, RandM, fabriquée par une entreprise chinoise qui n’a pas donné suite aux sollicitations du quotidien. L’achètent-ils sur son site ? Aucun des fournisseurs contactés n’a répondu. « Entre nous, on les appelle les dealers », explique un jeune.
La transgression attire. Vapoter la 9K, c’est décrocher sa place dans la cour des grands (…) À Camille-Sée comme ailleurs, c’est devenu un jeu. « Certains vapotent en cours, tant que le prof n’est pas face à eux, il ne voit rien. » … « Les jeunes adorent le fait que l’objet brille. Ils me disent » raconte, consternée, Ketty Deleris, l’addictologue préférée des ados sur TikTok, « c’est comme s’ils s’achetaient une nouvelle paire de baskets. »
•• « Les inventions des industriels sont sans limite », se désole le médecin Loïc Josseran (…) Qu’est-ce qui remplacera la puff ? Les fabricants trouveront-ils autre chose ?
Depuis quelques mois, la nouveauté, ce sont les sachets de nicotine qui fleurissent actuellement dans les vitrines des bureaux de tabac (voir 7 décembre 2023). Il faut dire que les buralistes s’inquiètent du manque à gagner de la puff : « elle représente 10 à 15 % des ventes de vape », détaille Philippe Coy.
Dans leur lignée, les perles de nicotine, des petites billes colorées, ont fait leur entrée sur le marché juste avant l’été (voir 26 mai 2023).
Certains fabricants de cigarettes électroniques qui conçoivent des puffs, eux, ne comptent pas renoncer à conquérir la jeunesse. Les réseaux sociaux parlent de plus en plus d’une nouvelle vapoteuse bigarrée au goût fruité et à la forme inédite. L’outil ne ressemble plus du tout à une e-cigarette. Mais à un gobelet. Et pour plaire aux ados, l’embout a été remplacé par une paille. Message : « vous ne fumez plus, vous buvez un smoothie ».