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24 Mai 2025 | L'Info, Vapotage
 

Le Magazine Causeur - mais 2025Nous reprenons une tribune publiée par le mensuel Causeur (d’Élisabeth Lévy) et signée par Noël Labelle (journaliste et consultant en information économique).

L’interdiction des « puffs » est désormais en vigueur, officiellement pour protéger la jeunesse. Pourtant, ces dispositifs représentent une alternative au tabac traditionnel moins nocive.
En les bannissant, on prive donc certains fumeurs d’un outil de sevrage potentiel, au bénéfice, une fois de plus, des cigarettiers qui ne peuvent que se frotter les mains après cette décision.

L’interdiction des puffs (cigarettes électroniques jetables) en février 2025 et la volonté affirmée en octobre 2024 par Geneviève Darrieussecq, alors ministre de la Santé, du bannissement des sachets de nicotine, appelés pouches, sont présentées comme des mesures pour protéger la jeunesse et l’environnement.

Pourtant, en ciblant ces alternatives au tabac plutôt que l’industrie du tabac elle-même, le gouvernement français révèle une étonnante incapacité à s’attaquer au tabagisme traditionnel, qui reste un véritable enjeu de santé publique puisqu’il cause 75 000 décès annuels en France.

De plus, cette politique prohibitionniste semble paradoxalement renforcer les cigarettiers, alimenter la contrebande et compromettre la réduction des méfaits du tabac.

L’argument majeur avancé par le gouvernement pour justifier l’interdiction des puffs et pouches repose sur leur attrait supposé pour les jeunes.
Et ce, alors même qu’une étude de 2022 dans Nicotine & Tobacco Research montre que les pouches sont surtout utilisés par des fumeurs existants, pas par des novices.

L’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives) note aussi que les puffs servent souvent aux fumeurs pour réduire leur consommation de tabac, même si cela ne réduit pas l’accoutumance à la nicotine.

En les bannissant totalement, le gouvernement retire donc une « béquille » aux personnes souhaitant sortir du tabagisme, tout en limitant la demande de nicotine à la cigarette traditionnelle, bien plus nocive et qui pèse lourdement sur les dépenses de santé publique.
Chaque année, le tabac coûte 1,6 milliard à l’État, soit 2,3 % du déficit public français.

Pourtant, les mesures contre les cigarettes se limitent à des hausses de taxes, comme celle de 2025 portant le prix moyen d’un paquet à 12,50 euros.
Ces augmentations n’ont pas enrayé la consommation, puisqu’en 2023, 31,3 % des adultes français fumaient quotidiennement, un chiffre stable depuis 2019, comme le souligne la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives).

Et pendant ce temps, l’industrie du tabac prospère.
En 2023, Philip Morris International a généré 35,2 milliards de dollars de revenus, et British American Tobacco 27,3 milliards.
Selon l’OFDT, le marché national du tabac représentait 20,2 milliards d’euros en 2022, contre 21,6 milliards en 2021 et 18,1 milliards en 2017.


Les buralistes : un lobby intouchable

Les 22 800 bureaux de tabac détiennent un monopole sur la vente de tabac, soutenu par des subventions publiques.

En plus de 20 ans, ce sont plus de 4,4 milliards d’euros de financements publics qui ont été accordés à la profession.
Et contrairement à ce qu’ils affirment, les débitants de tabac tirent largement profit de la hausse régulière de la fiscalité.
En 16 ans, les gains issus des ventes de produits du tabac ont triplé, passant de 30 000 euros par buraliste en 2007 à 90 000 euros pour chacun en 2023.

Cette influence est renforcée par la Confédération des buralistes, qui exerce un lobbying actif, comme le montre une récente étude publiée par le CNCT (Comité national contre le tabagisme).

Avant leur interdiction, les puffs et pouches étaient vendus dans des boutiques spécialisées ou en ligne, sous des réglementations européennes strictes.

Leur bannissement va donc à l’encontre des législations européennes tout en renforçant le monopole des buralistes, qui ne montrent aucun intérêt à promouvoir des alternatives moins nocives.
Mais surtout, on peut penser que les cigarettiers exploitent consciemment ces monopoles pour marginaliser les produits de réduction des risques.


Les alternatives sacrifiées : un cadeau aux cigarettiers

Les puffs et pouches semblaient pourtant offrir une opportunité pour réduire les méfaits du tabagisme.

Ainsi, la Suède, seul pays de l’UE à ne pas interdire les pouches, voit ce produit, prisé surtout par les hommes, supplanter le tabac fumé.
Avec 6 % de fumeurs quotidiens en 2021, la Suède approche le statut de premier pays « sans fumée » de l’UE, c’est-à-dire avec une prévalence de fumeurs égale ou inférieure à 5 % de la population.

Un article publié par la revue scientifique Harm Reduction Journal montre que ce mode de consommation du tabac, alternative viable aux cigarettes, est accepté par les consommateurs, qu’il ne pousse pas au tabagisme, et réduit les risques de cancers du poumon et de maladies cardiovasculaires, offrant des bénéfices significatifs en santé publique.

En clair, les différents modes de consommation de tabac sans combustion se révèlent bien moins dangereux que les cigarettes.
Une étude britannique montre également que les e-cigarettes ont réduit le tabagisme de 20 % au Royaume-Uni.

L’apparition de ces produits sans combustion ni fumée s’apparente à une évolution majeure du tabagisme, impactant de facto le marché traditionnel de la cigarette.
Ces produits semblent offrir l’opportunité d’aligner les envies des consommateurs et celles des autorités publiques qui souhaitent limiter les méfaits du tabac.
Cependant, en interdisant ces nouveautés, l’État intervient directement sur l’évolution naturelle d’un marché, confortant ainsi la position dominante de ses acteurs majeurs.
Il est alors peu étonnant de constater qu’en 2024, le cigarettier britannique Imperial Brands, dont Seita est la filiale française depuis 2008, a vu ses résultats marqués d’une forte croissance en Europe.


Une contrebande dopée par la prohibition

Les grands groupes de cigarettes ne sont pas les seuls à trouver des avantages dans cette situation.

L’interdiction des puffs et pouches alimente de facto la contrebande.
Les données spécifiques sur les saisies de ces produits illégaux par les Douanes françaises ne sont pas explicitement détaillées dans les sources disponibles.

Les rapports officiels ne mentionnent que les saisies globales de tabac de contrebande.
Mais les rubriques de faits divers pullulent d’articles plus précis sur la question : saisies à Saint-Ouen, à Toulon, à Gap, à Cambrai, à Valenciennes…

Aucune région française ne semble épargnée, malgré l’impressionnant travail des Douanes, qui ont saisi, l’an dernier, 489 tonnes de produits nicotiniques.
Un chiffre impressionnant, et qui pourtant ne représente pas l’ampleur réelle du problème.

Le mécanisme est pourtant connu depuis longtemps.

La prohibition légale d’un produit augmente la demande sur le marché noir, car elle crée une rareté artificielle et des prix élevés.

Cela incite les réseaux de contrebande à s’organiser pour répondre à cette demande, souvent via des importations illégales ou des contrefaçons.
De plus, la contrebande de tabac sert souvent de porte d’entrée et de soutien logistique et financier à d’autres activités illégales, renforçant les réseaux criminels transnationaux.

L’interdiction des puffs et sachets de nicotine renforce donc les buralistes et les cigarettiers tout en dopant la contrebande.

Une régulation intelligente – normes strictes sur les alternatives, contrôles sur les ventes aux mineurs, campagnes éducatives – et une offensive contre le tabac combustible, défiant le lobby des buralistes, seraient plus efficaces.

Sans ce changement, la France continuera de payer un lourd tribut, tandis que les géants du tabac prospèrent.