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1 Août 2023 | Pression normative
 

« Ce sont les ménages les plus modestes qui font les frais de la ligne fiscalo-hygiéniste dEmmanuel Macron » critique, dans une tribune du 30 juillet, Pierre-Antoine Delhommais, éditorialiste au Point. Nous la reproduisons intégralement.

Après avoir procédé à une énième hausse du prix du tabac, le gouvernement envisage d’augmenter dans le prochain budget qui sera présenté à l’automne les droits d’accise sur les boissons alcoolisées (voir 18 juillet).

•• La politique de baisse d’impôts qu’Emmanuel Macron mène depuis son arrivée à l’Élysée connaît une exception notable dans le domaine de la fiscalité comportementale, toutes ces taxes officiellement destinées à corriger les « vices » individuels et qui visent des objectifs de santé publique en luttant contre le tabagisme, l’alcoolisme ou encore l’obésité.

Avec un prix moyen du paquet de cigarettes passé de 7 euros en 2017 à 11 euros aujourd’hui, soit une hausse de près de 60 %, les fumeurs ont notamment fait les frais financiers de la ligne fiscalo-hygiéniste défendue par le chef de l’État, qui, au moins dans ce domaine, aura tenu ses engagements de candidat.

Lors d’un déplacement en janvier 2017 à Nœux-les-Mines, il avait expliqué que « l’alcoolisme et le tabagisme se sont peu à peu installés dans le bassin minier. Il faut traiter cela en urgence afin de rendre le quotidien de ces personnes meilleur ».

Malgré la polémique suscitée par ses propos, il avait annoncé que, s’il était élu, il porterait le prix du paquet de cigarettes à 10 euros, « une frontière symbolique, significative et dissuasive ». Objectif atteint, et même dépassé.

•• Les États ont compris depuis longtemps la manne budgétaire que constitue le penchant pour la bouteille ou la dépendance à la nicotine de leurs citoyens, avec l’avantage supplémentaire de pouvoir les taxer au nom de considérations morales. « L’impôt sur l’eau-de-vie présente un de ces exemples assez rares dans lesquels l’établissement des taxes peut être éclairé et dirigé par une pensée morale », se félicitait déjà en 1864, dans son Traité des impôts, l’économiste Félix Esquirou de Parieu.

Il ne faut toutefois pas s’y tromper, malgré leurs prétentions éthiques, les taxes comportementales ont toujours comme premier objectif de remplir les caisses de l’État, pas de vider les chambres d’hôpitaux, et aujourd’hui plus que jamais dans un contexte de finances publiques fortement dégradées.

Outre leur caractère hypocrite, les économistes reprochent à ces taxes d’être profondément inégalitaires, pénalisant bien plus les pauvres que les riches.

Selon le dernier baromètre de Santé publique France, la prévalence du tabagisme quotidien s’élève à 42,3 % chez les chômeurs contre 26,1 % chez les personnes ayant un emploi, et elle est de 30,8 % parmi les personnes n’ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat contre 16,8 % parmi les titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat.

•• Parce que les taxes comportementales sont une forme d’impôt régressif qui ponctionne plus le budget des ménages modestes que celui des ménages aisés, leur hausse contribue de façon non négligeable au creusement des inégalités.

L’envolée au cours des dernières années du prix du paquet de Marlboro n’est d’ailleurs sans doute pas totalement étrangère à la montée de la colère sociale dans le pays et au ressentiment croissant des Français à l’égard d’Emmanuel Macron.

L’efficacité même des taxes comportementales pour corriger les vices est contestée par de nombreux économistes, qui soulignent qu’en renchérissant artificiellement le prix des produits elles favorisent la contrebande, le marché noir, les trafics en tout genre avec les crimes et les mafias qui vont avec, sans effet avéré sur la consommation globale. 

Malgré la hausse du prix du paquet de cigarettes, le nombre de fumeurs est resté stable en France depuis quatre ans.

•• Une très sérieuse étude menée aux Pays-Bas par des chercheurs de l’Institut de santé publique est allée plus loin encore en démentant l’idée communément admise selon laquelle les fumeurs et les obèses coûtent une fortune à la collectivité : parce qu’ils meurent plus jeunes, leurs dépenses de santé, à l’échelle d’une vie, s’établissent respectivement en moyenne à 220 000 et 250 000 euros contre 281 000 euros pour les personnes minces et non fumeuses.

Au-delà de leurs effets pervers, de leur manque de légitimité économique et de leur inefficacité sur le plan sanitaire, les taxes comportementales préfigurent surtout un monde « orwellien » proprement terrifiant dans lequel l’État se fait directeur de conscience, définit le bien et le mal et dicte aux citoyens la manière dont ils doivent vivre.