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17 Déc 2015 | Pression normative
 

Droit constitutionnel« Le législateur peut-il limiter à ce point la liberté d’une entreprise et, éventuellement, lui interdire l’inscription de sa marque sur ses produits ? » … Thomas Pez, professeur de droit à l’Université Paris-Dauphine, dans une contribution au Cercle des Échos du 10 décembre, dresse les principes constitutionnels qui pourraient s’opposer au paquet neutre.

« Le Conseil constitutionnel considère que les libertés et droits fondamentaux bénéficient aux opérateurs économiques, ce que sont les fabricants de tabac, comme à toute personne physique ou morale. Ainsi, peuvent-ils exploiter leur marque qui est protégée au titre du droit de propriété, exercer librement leur activité économique au titre de la liberté d’entreprendre, faire de la publicité et communiquer au titre de la liberté d’expression.

•• Le droit de propriété protège l’utilisation d’une marque, y compris d’une marque concernant le tabac. Ainsi, le Conseil constitutionnel a-t-il reconnu, à propos de la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme (« loi Évin »), que le droit de propriété garanti par l’article 17 de la Déclaration des droits de 1789 inclut « le droit pour le propriétaire d’une marque de fabrique, de commerce ou de service, d’utiliser celle-ci et de la protéger » et que « la prohibition de la publicité et de la propagande en faveur du tabac est susceptible d’affecter dans son exercice le droit de propriété d’une marque concernant le tabac ». Si l’interdiction de la publicité et de la propagande en faveur du tabac a pu être considérée comme affectant le droit de propriété, tel pourrait être également le cas de l’instauration du paquet de cigarettes neutre et uniformisé.

•• Pour le Conseil constitutionnel, « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ».

Proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789, elle bénéficie aux entreprises autant qu’aux citoyens. La publicité entre dans son champ d’application. La jurisprudence est établie en ce sens. Le message publicitaire est protégé au même titre que le discours politique ou l’expression artistique. Le paquet de cigarettes est un support du message publicitaire, un mode de diffusion de la communication commerciale. Sa neutralité et son uniformisation peuvent difficilement s’analyser autrement qu’en une limitation de la liberté d’expression. Si la compétence du législateur est reconnue, pour en règlementer l’exercice,  ce n’est qu’« en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Et « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

•• Protection de la santé publique. Selon le Conseil constitutionnel, « il est loisible au législateur    d’apporter » aux libertés et droits fondamentaux « des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ». Le principe constitutionnel de protection de la santé publique est invoqué pour justifier des atteintes, considérées comme n’étant pas disproportionnées, aux droits des entreprises du tabac.

Mais, jusqu’à présent, « le législateur a assuré une conciliation, qui n’est pas manifestement déséquilibrée, entre l’exercice » des libertés et droits fondamentaux « et les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 relatives à la protection de la santé ».

•• Un point d’équilibre semblait établi entre ces exigences contradictoires. Les atteintes reconnues à la propriété, et aux libertés d’entreprendre et d’expression étaient admises et justifiées : il ne s’agissait que de limitations. L’instauration du paquet neutre et l’interdiction totale de publicité pourraient perturber cet équilibre. Le seuil des limitations acceptables risque d’être dépassé et les nouvelles restrictions sont susceptibles d’apparaître comme une privation des droits et libertés.

En effet, dans sa décision du 8 janvier 1991, le Conseil constitutionnel pour écarter le grief tiré du caractère disproportionné de l’atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre a pris soin de souligner que la loi en question réservait « la possibilité de faire de la publicité à l’intérieur des débits de tabac » ou « la possibilité d’informer le consommateur à l’intérieur des débits de tabac ».
De même, dans un arrêt du 10 décembre 2002, si la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’augmentation des surfaces des paquets de cigarettes consacrées aux risques pour la santé ne constituait pas une restriction disproportionnée au droit de propriété des fabricants des produits du tabac, c’est seulement après avoir relevé qu’elle laissait « subsister un espace suffisant pour que les fabricants de ces produits puissent y apposer d’autres éléments, en particulier ceux relatifs à leurs marques ».

Ainsi, la directive européenne (…) est plus prudente que le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale et la solution qu’elle retient opère une conciliation davantage équilibrée entre des exigences de même valeur. »