Confrontés à une hausse inédite de ce phénomène qui met en péril leur activité, certains commerçants n’hésitent pas à afficher les portraits des présumés délinquants. Une méthode illégale qu’ils assument, tout en espérant un changement de la loi. Enquête du Figaro (extraits) …
« Ras-le-vol », c’est le nom d’un collectif qui rassemble aujourd’hui quelque 15 000 commerçants minés par le vol à l’étalage. Entre 2023 et 2024, ils ont connu une hausse, inédite, de 15,5 % des larcins.
Leurs plaintes ? Elles sont classées sans suite. L’assurance ? Elle ne couvre pas ce type de risques. Les salariés ? Ils sont rongés par le stress. Alors, « afin que la peur change de camp », de plus en plus de commerçants n’hésitent pas à afficher les photos des voleurs. Quitte à se mettre hors-la-loi.
•• Vêtements et accessoires de marque, cosmétiques, parfums, les articles les plus volés sont « ceux qui se revendent facilement », indique Jérôme Jean, fondateur du collectif Ras-le-vol, qui observe également « une hausse dans les pharmacies ». L’alimentaire, en revanche, ne représenterait qu’« environ 20 % » des vols.
« Ces délits sont rarement le fait de personnes en situation de précarité ou de cleptomanes, mais bien de véritables réseaux organisés », complète-t-il. « Cela ne touche pas uniquement les grandes surfaces ou les métropoles. Les petites enseignes, les boutiques indépendantes et même les zones rurales en sont aussi victimes ». Le phénomène deviendrait même « tendance », à en croire les réseaux sociaux, où des pseudos « influenceurs » n’hésitent pas à exposer leur butin …
L’enquête menée par le collectif montre à la fois une « augmentation des vols » et « une baisse des plaintes ». « Les commerçants n’y croient plus ! », analyse Jérôme Jean. « En 2023, 71 % d’entre eux disaient avoir été victimes de vol. En 2024, c’était 82 %. Et quand on voit que seuls 3 % des voleurs ont été condamnés … Alors que 36 % ne portaient pas plainte en 2023, l’an dernier ce sont 48 % des commerçants qui jugeaient inutile de le faire ».
•• La solution ? « Balance ton voleur ! », clame la pétition de Ras-le-vol, qui a rassemblé plus de 8 600 signataires. Sauf que l’article 226-1 du Code pénal interdit de « volontairement porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui » en « fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ». Une infraction punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Le fondateur des Boutiques des artisans, qui se déploient dans le nord de la France, en a déposé, des plaintes. Mais pour lui, « rien n’a été plus efficace que l’affichage des voleurs pris sur le fait ». Sur Facebook, Instagram, et à la caisse du magasin. « Je ne diffuse pas les photos si je ne suis pas sûr à 300 % », indique-t-il.
« C’est une fois sur dix, et encore, car on vend beaucoup de petits objets… Mais pour l’instant, sur la vingtaine de fois où on l’a fait, ça a marché à tous les coups. On a l’identité de la personne en 3 ou 4 heures. Généralement par des connaissances, ou d’autres commerçants victimes. Je ne mets jamais de nom, mais j’indique que la personne est identifiée. Ensuite, soit elle envoie quelqu’un payer ou rendre l’objet, soit elle fait un virement … »
•• Le ministère de la justice a créé, en 2023, un nouveau dispositif pour lutter contre les vols à l’étalage : une amende forfaitaire délictuelle, que devront payer les auteurs pris en flagrant délit s’ils veulent éviter les poursuites judiciaires (voir 26 janvier et 3 septembre).
Mais « le volume des vols est trop important pour qu’il soit demandé aux policiers d’en appréhender tous les auteurs », objecte le député Les Démocrates Romain Daubié. Avocat, il ne désespère pas de faire un jour aboutir sa proposition de loi « visant à améliorer la sécurité des commerçants », déposée en 2024.
« Les plus fortement impactés sont les petits commerçants », fait-il valoir. « Ils n’ont pas la même résilience que les hypermarchés. De leur chiffre d’affaires dépend souvent leur salaire à la fin du mois, voire leur survie ». Son idée ? Modifier l’article 226-1 pour que « le consentement des personnes pénétrant dans des commerces ayant recours à la vidéo protection soit présumé ». « Ça n’est absolument pas la fin de la présomption d’innocence » insiste-t-il, « et ça ferait gagner beaucoup de temps aux forces de l’ordre ».




