Même si la consommation de viande a reculé de 5,8 % en France depuis vingt ans, les boucheries de détail tirent leur épingle du jeu face aux grandes surfaces avec des artisans plus ambitieux et en phase avec les nouvelles habitudes alimentaires.
Enquête des Échos signée Léa Delpont.
La vague d’attaques de militants vegan s’étant tassée (voir 3 juillet 2018), le secteur – qui compte 15 000 entreprises pour 18 000 boutiques – reprend progressivement des parts de marché (40 % environ) aux grandes surfaces : +4,3 points entre 2018 et 2022, selon le cabinet d’études Xerfi.
•• Après une année de tassement liée à la baisse du pouvoir d’achat, la dynamique repart en 2024 : Xerfi anticipe une hausse de 3 % du chiffre d’affaires des boucheries, porté par une hausse de la demande et une augmentation modérée des prix.
Le recul de la consommation de viande en France (de 5,8 % en vingt ans, selon FranceAgriMer), sous l’effet de régimes alimentaires moins carnés et plus récemment de l’inflation, « ne se ressent pas sur les boucheries artisanales : de plus en plus de gens préfèrent acheter une fois en boutique que deux fois au supermarché », explique Jean-François Guihard, président de la Confédération française de la boucherie.
« Le métier change beaucoup », dit-il. Les clients veulent moins de pièces brutes et plus de brochettes, paupiettes, rôtis, qui nécessitent de la préparation. Tout comme l’activité traiteur, qui prend de plus en plus de place sur les étals et dans la caisse : un tiers des revenus. En conséquence, la masse salariale augmente (+2 % par an) au sein d’un nombre stable de commerces.
•• La profession, qui emploie 45 000 salariés pour 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires, attire 5 000 nouveaux apprentis par an, deux fois plus qu’il y a dix ans.
Sans oublier 1 500 à 2 000 adultes en reconversion, Simon Bricard, ancien concierge privé et propriétaire de Viande & Chef à Paris, illustre parfaitement la nouvelle génération de patrons-bouchers communicants, présents sur les réseaux sociaux et proches de petits éleveurs de races locales : « On achète les bêtes en direct, on les prend entières et on se débrouille pour travailler aussi les bas morceaux dans des plats du jour cuisinés, hachis, blanquettes, bourguignons … » Ses clients « ne viennent plus tous les jours comme il y a dix ans, mais deux ou trois fois par semaine ».
Le commerçant, qui organise aussi plusieurs fois par mois des ateliers de confection de saucisses, envisage d’ouvrir bientôt une seconde boutique.
•• « Les nouveaux bouchers ont des business plans plus ambitieux que leurs prédécesseurs », souligne Véronique Langlais, présidente des bouchers parisiens et franciliens.
Ils veulent plus de place pour développer des activités complémentaires – maturation des viandes, laboratoire de cuisine, espace de convivialité – … « Nombreux sont ceux qui rachètent des voisins au moment de la retraite », ajoute Jean-François Guihard, « en exploitant deux à trois points de vente, à l’instar de la meilleure ouvrière de France Stéphanie Hein dans la région de Tours, « ils contribuent à une consolidation de la profession », qui reste largement dominée par les TPE.
Les enseignes ne représentent que 3 % de l’activité. La principale, le groupe stéphanois Despi avec 300 comptoirs de vente (800 millions d’euros de chiffre d’affaires), notamment dans les magasins Grand Frais dont il est actionnaire, est en passe d’être absorbée par Prosol. Celui-ci, pilier majeur du GIE alimentaire Grand Frais, a déjà racheté cet été Novoviande, son partenaire boucher en région parisienne.
À Paris, « qui n’est pas la France », Véronique Langlais note une recrudescence des établissements communautaires, halal dans les 11e et 14e arrondissements, kasher dans le 17e. Et malgré le succès des bouchers hipsters aussi, le nombre de commerces recule légèrement : la ville, qui compte 500 boucheries intra-muros, en a perdu une vingtaine en trois ans. La faute « aux loyers trop chers », selon elle : « Cela favorise les créations plutôt que les reprises dans un contexte commerçant global où les pas-de-porte vacants se multiplient dans la capitale. »