La tribune.fr revient sur la manufacture corse de Tabac (Macotab), dernier site de production de cigarettes en France, qui ferme ses portes le 31 décembre prochain (voir 28 septembre, 8 et 3 octobre). C’est, pour la Corse, le triste épilogue d’une certaine histoire industrielle … que nous reproduisons intégralement.
L’annonce, officialisée par la Seita, maison-mère, couvait à petit feu depuis quelques années déjà. Une triste nouvelle pour l’économie de la Corse, qui perd une activité industrielle centenaire, mais aussi pour le roman national du tabac puisque Macotab était la dernière fabrique de cigarettes en activité en France depuis 2017.
Un coup dur encore au niveau social avec la disparition de 29 emplois (à l’âge d’or, l’entreprise en comptait 200) et pour les finances de la Collectivité de Corse pour laquelle les taxes sur le tabac rapportent annuellement 75 millions d’euros.
Une page d’histoire se tourne et laisse un goût de cendres car entre la Corse et la cigarette, c’est une longue idylle qui a commencé il y a plus de 200 ans sous le Consulat et qui part aujourd’hui en fumée.
•• Fondée à Bastia il y a tout juste un siècle, la Macotab déménage à Furiani, à quelques kilomètres au sud, voici 60 ans. Malgré un carnet de commandes moins prolifique qu’il y a seulement dix ans auparavant, sa production se maintenait au niveau appréciable de 850 millions de cigarettes par an.
Si le rendement se consumait au fil des années, c’est d’abord en raison de la fin d’un avantage fiscal historique remontant à Napoléon et à l’arrêté Miot de 1801 octroyant, au titre de l’insularité, un régime dérogatoire sur les droits de succession, les alcools et le tabac.
Sous la pression de l’Union européenne et en dépit du poids lobbyiste exercé depuis des lustres par les parlementaires corses pour freiner des quatre fers le retour forcé au droit commun, le Parlement a décidé, en 2018, un lissage progressif du prix du tabac avec celui du Continent. Ainsi, au 31 décembre 2025, c’est-à-dire demain, l’écart qui était jadis de 25 % sera bientôt inférieur à 5 %, autant dire l’épaisseur d’un papier à cigarette (voir 20 octobre).
•• La fédération des buralistes de Corse crie à l’injustice. « Le postulat de départ pour supprimer cet avantage fiscal a changé. Les crises sanitaires, économiques et énergétiques sont passées par là et le gouvernement n’en tient aucun compte », regrette José Oliva, son président.
« Par ailleurs, le prix du paquet de cigarettes en Corse est pratiquement le double de celui de la Sardaigne qui se trouve à 11 kilomètres de nos côtes (8,80 euros contre 5,50, ndlr). Avant, les Italiens venaient se servir chez nous, aujourd’hui, c’est l’inverse. Avec la Macotab, c’est une institution qui disparaît du paysage. »
Les buralistes corses n’ont pas tiré leurs dernières cartouches. Ils ont le soutien de Philippe Coy, le président de la Confédération des buralistes de France, qui s’est engagé à faire une demande officielle de report d’au moins deux ans de l’alignement prévu par le législateur.
•• À la fin inéluctable du privilège impérial corse – Napoléon doit se retourner dans sa tombe des Invalides – se greffent d’autres arguments avancés par Cyril Lalo, le directeur des relations publiques de la Seita, elle-même filiale du groupe Imperial Tobacco (350 000 salariés répartis dans 160 pays).
Notamment la baisse des volumes des produits du tabac dans tout le pays, Corse comprise, en raison des hausses successives du prix du tabac et de la prise de conscience citoyenne inhérente à la santé publique. Il faut savoir que l’île est en tête des régions de métropole où le tabagisme fait le plus de victimes (3 points de plus que la moyenne nationale).
D’autre part, la Seita fait état de la résiliation du contrat par Philip Morris France qui a été, en effet, préjudiciable pour l’unité de fabrication de la Macotab, avec une perte « sèche » de 330 millions de cigarettes. En revanche, elle jette un écran de fumée sur deux autres motifs susceptibles pourtant d’expliquer la fermeture de Macotab : la fin imminente du bail emphytéotique (un bail immobilier de très longue durée) concernant le site de l’usine sur la commune de Furiani et le choix stratégique de délocaliser la fabrication des produits de tabac en Pologne.
« Le site va fermer à la fin de l’année, la Seita ne reviendra pas sur sa décision. Pourtant, tous les voyants sont au vert, mais on paie une politique nationale hostile au tabac qui profite aux pays frontaliers et à la contrebande. Les négociations ont commencé avec la direction et nous sommes très vigilants sur ce qui nous est proposé », prévient Jean-Paul Gambini, porte-parole des salariés dont certains opteront pour un départ à la retraite anticipé. Pour le moment, rien ne filtre des discussions en cours mais ils sont résignés à faire leurs paquets.