Une fenêtre sur l’actualité quotidienne de tous les événements liés directement ou indirectement au tabac
3 Déc 2021 | Profession
 

Dans une libre tribune publiée dans L’Opinion, Bruno Alomar (qui a notamment travaillé au cabinet du Commissaire européen à l’Énergie) estime que la distorsion des prix dans une zone de libre circulation des biens et des personnes entraîne une distorsion des modes de consommation.

(…) Inciter ou décourager tel ou tel comportement oblige à se poser la question de l’efficacité des instruments à disposition des pouvoirs publics, et notamment la fiscalité. L’exemple de la lutte contre le tabac est éclairant. Avec un prix du tabac composé de plus de 80 % de taxes, le levier fiscal y occupe une place prépondérante.

•• Mais si le lien entre cancer et consommation de tabac est établi – un fumeur multipliant par 10 à 15 le risque de cancer du poumon – le lien entre les prix du tabac et la baisse de la consommation est loin d’être évident

Ce que vient de confirmer une récente mission parlementaire qui montre que les ventes hors réseau buralistes représentent entre 14 et 17  % du marché et qui évalue donc à 3 milliards d’euros le manque à gagner fiscal résultant de la fuite de la consommation de tabac dès que le prix devient prohibitif (voir 29 septembre)

•• Or, le cœur de notre politique de lutte contre le tabagisme repose justement sur la fiscalité comportementale. D’où vient cette foi dans l’efficacité de l’instrument fiscal ? Sans qu’il soit besoin de s’arrêter sur tous les objectifs de la fiscalité – dont certains ont plus avoir avec la bonne santé budgétaire qu’avec la bonne santé tout court – il est légitime de confronter à la réalité ce qui semble acquis.

Nous pensons, effectivement, qu’un niveau élevé du prix va diminuer la consommation effective. Économiquement, le postulat repose sur l’élasticité-prix de la demande. Si certains biens sont élastiques aux prix (la consommation diminue quand le prix augmente), d’autres ont une élasticité inversée (consommation et prix augmentent conjointement), d’autres encore sont inélastiques au prix (la consommation est invariante même quand les prix montent) et représentent des biens indispensables qui ne trouvent pas de substitut.

•• Que nous apprend l’évolution des prix du tabac sur longue période ?

Selon le rapport Woerth, le prix du paquet de cigarettes a augmenté de 230  % en vingt ans, en passant de 3,20 euros à 10,50 euros. 

La proportion de fumeurs a diminué sur la même période de seulement 15 % selon Santé Publique France, avec un taux de consommation de tabac de 30 % en 2000 ramené à 25,5% en 2020. On peut en déduire une faible élasticité-prix de la demande et donc que le tabac est un bien dont il est difficile de se passer pour le fumeur mais qui dispose de substituts.

•• De nombreuses études économiques ont cependant montré qu’une fois atteint un certain seuil, la fiscalité et le niveau des prix n’ont plus aucun effet sur le consommateur qui a recours au marché parallèle (contrebande) ou qui joue des distorsions fiscales entre États en se fournissant sur le marché transfrontalier. La consommation recensée baisse mais pas la consommation réelle qui a juste quitté le réseau officiel. L’on estime qu’environ 1 paquet sur 4, par définition un tel chiffre doit être pris avec prudence – et 50% du tabac à rouler – seraient achetés en dehors du réseau des buralistes.

Ce n’est pas qu’une hypothèse. La fermeture des frontières due à la crise sanitaire a permis de le vérifier. Les ventes de tabac en France, reprenant le chemin du marché officiel, ont progressé en moyenne de 5,5  % durant la période et même de 25  % dans les départements frontaliers.

Une telle relocalisation des achats montre que la distorsion des prix dans une zone de libre circulation des biens et des personnes entraîne une distorsion des modes de consommation.

•• Ce qui devrait conclure au fait que la consommation réelle, non seulement reste stable, mais qu’elle est en partie inélastique au prix du fait du report de consommation sur le marché illégal ou étranger.

Fort de ces constatations, on peut comprendre l’objectif d’une fiscalité comportementale au service de la santé publique mais en même temps douter sérieusement de son efficacité réelle.