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17 Mar 2024 | International
 

Les cigarettes au menthol très prisées par les Afro-Américains enfument la campagne présidentielle : les autorités sanitaires veulent les interdire (voir 30 avril 2021), le président démocrate Joe Biden renâcle et des groupes républicains s’engouffrent dans la brèche pour tenter de séduire cet électorat clé.

C’est ainsi que débute une dépêche AFP, signée Paul Nolp, que nous reprenons.

Un projet de décret de l’Agence américaine de régulation (FDA) qui interdirait la vente et la production de menthols attend depuis l’été 2023 le feu vert du gouvernement fédéral pour entrer en vigueur. La Maison Blanche avait promis de le signer à l’automne avant de décaler la date butoir à mars 2024 … Et plusieurs associations de santé craignent aujourd’hui que le texte ne soit repoussé aux calendes grecques (voir 12 décembre 2023).

•• « Tout devient plus compliqué quand il s’agit d’une année électorale. Les responsables politiques réfléchissent à deux fois et se demandent : est-ce que ça peut entamer mes chances de réélection ? » souligne Emily Holubowich, de l’American Heart Association, l’une des plus importantes organisations de santé du pays.

La raison : ces cigarettes au goût de menthe sont consommées en immense majorité par des Afro-Américains, un électorat penchant du côté démocrate qui pèsera lourd lors du match retour entre le républicain Donald Trump et Joe Biden à la présidentielle de novembre. L’exécutif est pris entre le marteau des associations de santé qui militent pour le bannissement des cigarettes aromatisées et l’enclume de certains mouvements de défense des droits civiques, vent debout contre la proposition.

« Une chose est certaine, fumer est mauvais pour la santé… Mais si c’est une question de santé, pourquoi ne pas interdire toutes les cigarettes ? », s’insurge Al Sharpton, un influent démocrate afro-américain qui, par le passé, a reçu des fonds de l’industrie du tabac. Il fustige une politique à deux vitesses où « les Blancs peuvent fumer autant qu’ils veulent, mais pas nous ».

Au contraire, dans une campagne télévisée, la NAACP, la plus grande organisation de défense des Afro-Américains, demande à la Maison Blanche d’honorer sa promesse, consciente des ravages du cancer du poumon chez les personnes noires. « J’encourage ce gouvernement à se concentrer sur la science, la recherche, la santé des Afro-Américains et placer la santé des gens au-dessus de la politique ou du profit », martèle son président Derrick Johnson dans un spot.

En Caroline du Sud, « Building America’s Futur », un groupe conservateur, ne s’y est pas trompé, envoyant des lettres à 75 000 électeurs démocrates, en grande majorité afro-américains, pour les sommer de ne pas voter Biden. Une liste de ce que le président « devrait faire au lieu d’interdire les cigarettes au menthol » accompagnait les missives.

•• En ligne de mire, les voix de l’électorat noir, où plus de huit fumeurs sur 10 consomment des menthols, contre trois sur 10 chez les fumeurs blancs, selon un rapport gouvernemental.

Ce lobbying politique pourrait peser lourd en novembre dans des États dit pivots, comme la Caroline du Nord ou le Michigan. Soufflant sur les braises, le géant du tabac Altria a commandé récemment un sondage qui met en garde le président contre les risques de perte de sa base électorale, sans expliquer comment le sondage a été effectué.

« Gagner un électeur ou en perdre un, bien sûr que c’est important. Mais ce qui compte vraiment, c’est de vivre plus longtemps. Voir un sujet aussi important être détourné, c’est affligeant », se désole Rose Marie Robertson, directrice de recherche à l’American Heart Association.

•• Pendant des décennies, les Afro-Américains ont été victimes de publicités ciblées. Dès les années 1950, l’industrie du tabac injecte des millions de dollars dans des spots télévisés, à la radio et lors d’événements culturels ou sportifs. Les fabricants vantent un produit « cool, frais et rafraîchissant, comme si c’était quelque chose de sain ! », s’exclame l’experte. Avec, pour « cible principale : des jeunes citadins noirs ou adultes, au revenu modeste, peu éduqués », selon un rapport gouvernemental de 1998.

Et ça marche : de 5 % de fumeurs afro-américains adeptes des menthols en 1953, ils sont 80 % un demi-siècle plus tard.

« Le menthol n’est pas juste un parfum, c’est un poison », assène Mme Robertson. Chaque année, entre 45 000 et 50 000 citoyens noirs décèdent du tabagisme, selon plusieurs études. Soit la première cause de décès évitable chez les Afro-Américains. Les menthols y sont pour quelque chose. « Avec des arômes comme le menthol, c’est beaucoup plus facile de commencer à fumer et beaucoup plus dur d’arrêter », poursuit-elle. Les fumeurs « ne sentent pas que ça gratte la gorge et tirent plus fort et plus longtemps ».

Face à ce constat alarmant, des États comme la Californie et le Massachusetts ont déjà interdit les cigarettes au menthol, à l’image de l’Union européenne voici quatre ans. « Il faut agir, on ne peut plus attendre », tonne Emily Holubowich. Dans un récent rapport, des scientifiques estiment qu’une interdiction sauverait 654 000 vies lors des 40 prochaines années. Photo : Getty AFP