Le tabac belge est beaucoup moins attractif financièrement depuis les hausses enregistrées en 2024 (voir 3 janvier). Les consommateurs — et certains trafiquants – se tournent vers le tabac luxembourgeois, 350 kilomètres plus loin. Pour les buralistes calaisiens, c’est encore et toujours un enjeu de coopération avec les Douanes et le Gouvernement … Reportage de Nord Littoral
Début juillet, un Calaisien est allé se fournir en tabac au Luxembourg, pour la première fois. Il avait l’habitude d’aller chercher son tabac en Belgique, jusqu’à ce qu’une hausse générale des prix, au premier trimestre 2024, ne l’en détourne.
•• « Depuis Calais, avec un collègue, on a mis environ 4 heures 30 de route jusqu’au Luxembourg. Ce qui nous a surpris, là-bas, c’est qu’ils ne préviennent même pas de la quantité limite qu’on peut acheter, en tout cas pas clairement. Ça disait juste que la contrebande est interdite. Mon sentiment, c’est que c’est un peu à la tête du client » témoigne-t-il.
« Nous, en deux minutes, on a pris chacun pour 600 euros de tabac. Les vendeurs n’ont même pas sourcillé. Bon après, ce sont des vendeurs … Ils se débrouillent en français, d’ailleurs, et il y a beaucoup de passage. Au point qu’ils étaient en rupture de certaines marques ». Pour le reste, pas de raisons particulières de s’attarder, sourit-il : « en tout cas, on n’a eu aucun contrôle de police ou de douane, que ce soit française, belge ou luxembourgeoise.»
Par contre, financièrement, il revient conquis : « 4 heures 30 aller, 4 heures 30 retour, en 9 heures tu sacrifies une journée, mais tu gagnes plus qu’en allant au boulot, c’est sûr ! Si t’es pas bête, en revendant en France tu peux te faire 300 euros de bénéfices. (…) en le faisant une fois par semaine, même avec de petits volumes, si t’as le bonheur de toucher le chômage ou le RSA, t’es le roi du pétrole ! »
Dans son cas, assure-t-il, il vise surtout à être tranquille pour six mois de consommation personnelle. Et envisage de le faire deux fois par an. Mais d’autres n’ont pas attendu d’être pris à la gorge par la hausse des prix du tabac belge pour faire ces calculs : « Des gens qui font ce trafic entre Calais et le Luxembourg, c’est vieux. J’en connais qui le font depuis 3 ou 4 ans … ».
•• Pour Sylvain Hodicq, président des buralistes du Calaisis, « la Belgique, ce n’est plus rentable. Acheter du tabac là-bas pour le revendre ici, c’est prendre beaucoup de risques pour pas grand-chose. Sauf à faire dans de grosses quantités et venir avec un poids lourd. » Il n’est pas surpris que les Douanes n’inquiètent pas des consommateurs. Même si elles ont de nouveaux moyens pour agir : « par exemple, s’ils attrapent quelqu’un avec cinq cartouches de marques différentes, il y a des chances que ce soit de la contrebande pour de la revente. Un vrai fumeur ne fume que sa marque …
« Il y a deux mois, avec le président de la fédération départementale François Guilbert, on a été invités à suivre des contrôles douaniers à la frontière belge, du côté de Steenvorde (voir 3 mai).
« Et depuis 2020, il y a le site Stoptrafictabac, où les buralistes peuvent faire des fiches de signalement quand ils ont des soupçons. Bien sûr, c’est lent : les douaniers étudient tous ces renseignements, il faut les croiser, les confirmer, ça prend des mois. La Direction nationale des Douanes nous dit toujours que c’est long parce qu’ils veulent remonter les vrais réseaux. Surtout s’il y a un lien avec d’autres trafics ou du crime organisé … »
•• Surtout, il voit la bascule vers le Luxembourg comme une illustration de l’effet domino du libre marché européen : « la hausse des tarifs en Belgique, ça montre que ça bouge-pas assez vite, à notre goût, mais bon. L’effet chez nous, à Calais, n’est pas immédiat, c’est sûrement différent pour les collègues dunkerquois, les premiers à souffrir de la concurrence belge. C’est l’éternel jeu de dominos : nous, on a un problème avec les Belges, qui ont un problème avec les Luxembourgeois. On a aussi un problème avec les tarifs allemands, qui eux se plaignent des tarifs polonais. On se plaint aussi de la concurrence des tarifs espagnols, qui eux-mêmes souffrent face aux Portugais … »
Pas d’illusions : ni Sylvain Hodicq, ni son collègue du bar-tabac la Havane, Jérémy Tirmarche, ne voient revenir des clients « repentis » du marché belge « On a une baisse des ventes, pas de la consommation de tabac, à Calais. Ce que je constate, c’est que ceux qui reviennent fument des cigarettes industrielles plutôt que du tabac à tuber, qui était particulièrement intéressant en Belgique avant la hausse. », souligne le premier.
Jérémy Tirmarche précise quant à lui : « Les clients nous disent bien que la Belgique n’est plus aussi intéressante pour le tabac. Mais c’est souvent un tout. Ils n’y vont pas que pour ça : ils vont dans des parcs d’attractions, ils achètent de l’alcool et du tabac. Donc, ils continuent à y aller. »