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27 Nov 2022 | Profession
 

Nous reprenons, ci-dessous, un article du Monde – paru dans l’édition du 25 novembre – sur le phénomène du snus et des sachets de nicotine (qui sont des produits différents) parmi certains milieux sportifs.

Dans l’avion qui emmenait les Bleus au Qatar, l’attaquant français Marcus Thuram a été vu avec ce qui avait tout l’air d’une boîte de snus. La consommation de cette forme de tabac sans fumée, dont la vente est interdite en France, se répand chez les sportifs.

C’est une photo, publiée le 17 novembre sur les réseaux sociaux (Facebook et Instagram) de Karim Benzema, qui a mis le feu aux poudres.

•• On y voit Marcus Thuram, l’attaquant du Borussia Mönchengladbach, assis à côté du Ballon d’or 2022 dans le vol des Bleus vers le Qatar, une boîte ronde à la main, ressemblant à s’y méprendre à une boîte de snus, ces sachets de tabac à sucer interdits à la vente en France. Reprise par quelques sites Internet, l’image a d’autant plus éveillé les soupçons que Marcus Thuram a dissimulé la boîte compromettante sous un émoji avion en repartageant la story sur son compte Instagram.

Invités à s’expliquer, l’équipe de France et le footballeur n’ont pas souhaité répondre aux questions du Monde. Vrai ou faux, reste que le monde du ballon rond n’est pas épargné par cette pratique jusque-là surtout associée aux athlètes des sports d’hiver, qui se rendent régulièrement dans les pays scandinaves, où le tabac à chiquer est extrêmement populaire.

•• Jusqu’à présent, ce geste discret, un pochon ou une boulette de tabac, prélevée dans une petite boîte ronde, qu’on place sous la gencive, induisant un léger renflement sous la lèvre supérieure, était surtout visible dans le ski et le hockey sur glace. Un usage si répandu que personne n’en faisait cas ni mystère, du moins jusqu’il y a une dizaine d’années. « Tu chiquais, tu étais un montagnard », résume Romain Forte, coordinateur du Pôle Espoir ski au lycée de Moûtiers.

Dans les années 1990, les consommateurs prenaient de la « benchicou », ou Makla (du nom d’une marque), en provenance du Maghreb, pâte de tabac humide marron au goût prononcé (…) Par habitude, les acheteurs de snus continuent parfois à parler de « chique » alors qu’ils consomment en fait une autre forme de tabac sans fumée, qui n’est pas à chiquer mais à sucer.

Le snus, contrairement à la Makla, est interdit à la vente dans l’Union européenne depuis 1992. Sauf en Suède (voir 20 avril 2013), qui a conditionné son entrée à l’UE à la possibilité de continuer à en produire et en vendre, ainsi qu’en Suisse (voir 13 décembre 2017), où la consommation s’envole depuis la légalisation du produit en 2019 (ndlr : il y a également la Norvège, voir 21 janvier 2018).

•• Un « sport » de hautes montagnes

Dans les sections ski études des collèges et lycées, on ne compte plus les récits de plafonds de toilettes maculés de boulettes de chique, les stylos critériums découpés pour y tasser le tabac et s’en servir comme d’une pipette doseuse, sans oublier les montagnes de chique à côté du starter lors des courses de la Fédération internationale de Ski (…)

Devant l’ampleur du fléau, les fédérations ne sont pas restées bras croisés. Celle du ski a été la première à lancer une campagne de prévention, durant l’hiver 2010-2011, sous la présidence de Michel Vion, désormais secrétaire général de la FIS, qui ciblait spécifiquement le jeune public tenté d’imiter les aînés. Auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur l’efficacité de la lutte antidopage en 2013, Michel Vion avait lâché les noms de champions de ski alpin usagers, Jean-Baptiste Grange (champion du monde de slalom en 2011 et 2015) et Luc Alphand (vainqueur de la Coupe du monde 1997).

Si aucun des deux n’a donné suite à nos demandes d’interviews, Julien Lizeroux (vice-champion du monde de slalom en 2009), un proche de Grange, parle « d’une campagne maladroite et stigmatisante ». L’intention était bonne, mais a conduit à une interdiction (à la discrétion de chaque établissement d’enseignement) rendant l’évaluation des consommateurs difficile. « Quelque temps après cette campagne, c’est devenu tabou », confirme Romain Forte, « d’autant qu’on a demandé aux athlètes et aux coachs de ne plus chiquer devant les ados. »

•• Des chiffres minimisés

Un public jeune qui, aux dires des fédérations concernées, serait moins tenté par la boulette qu’autrefois. « Comme toutes les études reposent sur du déclaratif, pas facile davoir des données fiables, dans un sens ou dans lautre », reconnaît Nicolas Coulmy, directeur du département sportif et scientifique de la FFS. « Effet de la campagne ou non, aujourdhui, ils sont peut-être moins de 30 % à chiquer en Pôle Espoir, et je ne pense pas que ce soit de gros consommateurs », ajoute Romain Forte.

Même minimisation du phénomène en hockey, toujours au doigt mouillé. « Aujourdhui, je dirais que moins dun tiers des joueurs de l’équipe de France chique, ce qui est beaucoup moins que par le passé », explique Fabrice Leclerc, médecin à la Fédération française de hockey sur glace (FFHG). A contrario, une étude publiée, fin 2020, par l’European Journal of Sport Science suggérait « que la consommation de snus dans le sport de haut niveau semblait augmenter, et de façon particulièrement inquiétante chez les jeunes », sans toutefois établir de rapport direct entre le snus et la performance, hypothèse contredite par d’autres études.

Tout comme dans le ski, la FFHG a mis en place des cellules d’écoute avec des addictologues. « Car le problème, avec le tabac à chiquer, précise le docteur Jean-Pierre de Mondenard, spécialiste du dopage, cest quil est possible den prendre toute la journée sans être incommodé. La nicotine est absorbée de façon continue par les joues et les gencives. À long terme, bonjour les dégâts !  »

Ceux-ci sont documentés dans nombre d’études scientifiques, qui ont établi des liens avec les cancers du pancréas, de l’œsophage, ainsi qu’avec des maladies cardiovasculaires. On constate également des lésions bucco-dentaires, telles que récessions gingivales et déchaussements. Des cas de joueurs « qui ont un trou si gros dans la gencive que ça communique avec le sinus » ont été rapportés au médecin de la FFHG. En 2014, une légende du baseball, Curt Schilling, a révélé souffrir d’un cancer de la bouche imputable, selon lui, à trente ans de chique.

•• La nouvelle jeunesse du snus

Aujourd’hui, l’expansion du snus est en passe de gangrener la planète foot. Il y a quelques années, des images de l’attaquant Zlatan Ibrahimovic, ou de l’Anglais Jamie Vardy, ont circulé « snusant » sur le terrain. Ce dernier a reconnu son addiction au produit. « Il sagit dun très très gros problème », alertait, dans la presse britannique en 2021, Lee Johnson, le manageur de l’équipe de Premier League de Sunderland. Ce dernier évoquait des joueurs, hospitalisés pour d’autres causes, qui étaient « tellement accros quils suppliaient médecins et infirmières pour avoir leur dose ».

Dans les centres de formation européens, principalement en Belgique et en France, des sachets sont régulièrement retrouvés sur les terrains d’entraînement. Les plates-formes de vente Internet surfent sur cette tendance pour faire la promotion de leurs produits : Karim Benzema, encore lui, est ainsi mis en avant dans une publication de Snuskingdom.com qui prétend – sans apporter aucune preuve formelle – avoir vu l’attaquant du Real de Madrid un sachet en bouche, lors d’un match de la Ligue des champions.

« Quel signal catastrophique envoyé aux jeunes athlètes », s’alarme la Suissesse Francine Moreillon, ex-championne du monde de ski extrême. « Chez nous, le snus est si généralisé que notre comité national olympique a lancé « Cool and Clean », une campagne pour mettre en garde les jeunes contre ses dangers et les publicités mensongères vantant ses bienfaits. » Un sujet d’autant plus préoccupant que l’on constate ces derniers temps une diffusion de la chique chez les jeunes en général, séduits par les goûts aromatisés et le côté pratique de sachet.

« Comme toute addiction, il sagit dun problème complexe aux frontières du médical, du sportif et du social », insiste le directeur du département sportif et scientifique de la FFS, qui a mis en place une préparation mentale pour que les athlètes n’aient pas à recourir à ce genre de produits, évoquant au passage la nécessité de former les encadrants. « Mais ça prendra des années pour sen débarrasser, car dans le hockey, on a pas mal dentraîneurs qui chiquent encore…  », ajoute Fabrice Leclerc.

Le docteur Jean-Pierre de Mondenard nest guère plus optimiste. « Il ny a que les contrôles qui marchent, avec des sanctions de suspension à la clé. Car tant que la nicotine ne sera pas recherchée dans les urines, les sportifs continueront den consommer, puisquils ne risquent rien. »