Réduire le taux de nicotine dans les cigarettes pour atténuer leur pouvoir addictif et, à terme, faire diminuer le tabagisme: c’est le projet lancé il y a quelques jours par la Food and Drug Administration (voir 22 juin). Le Figaro a interrogé deux médecins addictologues sur la « vertu » de la mesure. Nous reproduisons cet article.
La nicotine n’est aucunement responsable des méfaits de la cigarette sur la santé, contrairement à de nombreux autres composés libérés par la combustion du tabac. Ce n’est toutefois pas une substance anodine puisqu’elle est en grande partie responsable de la dépendance au tabac.
•• Diminuer la concentration en nicotine dans les cigarettes n’a pas d’impact sur la quantité de produits nocifs inhalés.
« Ce qui tue les fumeurs, c’est la combustion et les centaines de substances toxiques et cancérigènes inhalées, pas directement la nicotine qui elle, induit et entretient la dépendance et donc la difficulté d’arrêter » souligne le professeur Nicolas Authier, psychiatre, spécialisé en pharmacologie et addictologie au CHU de Clermont-Ferrand. « Fumer une cigarette avec moins de nicotine entraînera les mêmes dégâts physiques sur les systèmes cardiovasculaire et respiratoire et les mêmes risques de cancer ».
•• Autre critique : cette mesure pourrait conduire à une hausse du tabagisme.
« Diminuer la quantité de nicotine dans une cigarette pourrait aussi augmenter le nombre de cigarettes consommées par jour chez le fumeur car son cerveau réclamera une certaine dose de nicotine pour ne pas être en manque. Soit un risque d’une exposition augmentée à la fumée par inhalation et les risques associés » estime le professeur Authier.
Une position partagée par son confrère addictologue et tabacologue au au 7ème centre médical des armées (CMA) de Grenoble, le Docteur Philippe Arvers : « ce n’est pas en proposant aux fumeurs des cigarettes de ce type qu’ils vont se sevrer. Ils en fumeront trois fois plus. »
•• Pour la FDA, cette mesure viserait avant tous les jeunes. Mais les spécialistes interrogés ne sont pas convaincus par cet argument.
« Peut-être que des cigarettes moins dosées en nicotine pourraient allonger le délai d’installation d’une dépendance chez les nouveaux consommateurs – ce qui reste à démontrer -, mais je pense que cette dépendance apparaîtra inéluctablement car la nicotine est un produit très addictif » indique le professeur Authier.
« De toute façon, il vaut mieux que les jeunes ne se mettent pas à fumer, ou qu’ils vapotent éventuellement s’ils veulent absolument inhaler de la nicotine. La vape est beaucoup moins toxique que la cigarette » rappelle le Docteur Arvers.
•• Les deux experts sont donc unanimes : cette initiative serait inutile, voire contre-productive. Cette proposition semble d’autant peu prioritaire qu’il existe des mesures qui ont déjà fait pleinement leurs preuves en matière de lutte contre le tabagisme, selon eux.
« Le paquet neutre, la mise à disposition de substituts nicotiniques, l’interdiction de la publicité ou encore l’augmentation du prix – même si nous sommes frileux en France sur ce point par rapport à un pays comme l’Australie -, et la combinaison de toutes ces mesures fonctionne » indique le Docteur Arvers.
Photo : AFP