Même si l’épidémie de coronavirus a fait bondir les ventes de cannabis au Canada (voir 29 juin et 20 mars 2020), elle risque de couper les ailes à un secteur en pleine recomposition moins de deux ans après la légalisation, estiment des experts s’exprimant dans une dépêche AFP.
Par crainte de pénuries ou pour gérer leur stress, les Canadiens se sont rués pendant le confinement vers les magasins et les sites de cannabis. Les ventes ont augmenté de près de 20 % en mars et en avril, selon Statistique Canada.
« La Covid-19 a eu un effet positif sur le marché légal. On a vu un certain transfert du marché noir vers le marché légal » explique à l’AFP Bradley Poulos, un expert du secteur qui enseigne à l’université Ryerson de Toronto.
•• Le coronavirus est pourtant survenu au pire moment pour cette jeune industrie déjà confrontée à « son lot de défis », notamment des problèmes de rentabilité, un an et demi après que le Canada est devenu le deuxième pays après l’Uruguay à le légaliser, ajoute-t-il (voir 2 janvier).
La décision avait fait naître une toute nouvelle économie. Pionniers, les Canadiens s’y sont imposés parmi les leaders, se développant à l’étranger, notamment en Europe, vue comme un futur grand marché du cannabis médical. Le monde de la finance leur a aussi ouvert les bras et de nombreuses sociétés se sont cotées sur les Bourses de Toronto et New York.
•• Mais l’euphorie est vite retombée. Entre les projections trop optimistes, des problèmes de gestion et les ratés dans la commercialisation, le secteur s’est retrouvé en surcapacité tandis que les sociétés ont accumulé les pertes et ont vu leur valorisation boursière dégringoler (voir 13 juillet et 12 avril 2019).
« La capacité du marché légal à concurrencer le marché noir a été entravée par un certain nombre de règles gouvernementales » analyse Richard Carleton, PDG de la Canadian Securities Exchange, la bourse qui cote environ 175 sociétés de cannabis canadiennes et américaines. Les restrictions en termes de publicités et le très lent déploiement des boutiques physiques ont notamment pesé sur les performances de l’industrie, dit-il.
•• Celle-ci fondait de « grands espoirs » dans l’ouverture de centaines de boutiques en 2020 et la légalisation récente de nouveaux produits, y compris les comestibles et boissons infusées au cannabis, dont les marges sont dites supérieures aux fleurs séchées (voir 20 juin 2019). Mais ces plans ont été en partie perturbés par l’épidémie, affirme M. Carleton.
L’épidémie a pesé sur les opérations des producteurs au moment où la plupart d’entre eux étaient en pleine restructuration stratégique.
•• Symbole des défis de l’industrie, Canopy a annoncé en mars la fermeture de deux serres en Colombie-Britannique et le licenciement de 500 salariés. Aurora Cannabis a annoncé, la semaine dernière, qu’elle allait elle aussi fermer cinq sites de production et licencier 700 employés.
La crise a exacerbé les problèmes de liquidités dans l’industrie, menaçant la survie des petites sociétés, précise aussi Rishi Malkani, responsable du secteur du cannabis chez Deloitte Canada. Depuis le début de l’année, une dizaine d’entreprises se sont placées sous le régime des faillites. D’autres devraient suivre « d’ici l’été ou l’automne » dit-il.
•• « Si on regarde les choses du bon côté, la pandémie ne va faire qu’accélérer le cycle de consolidation déjà attendu dans l’industrie » précise M. Malkani, « les plus petits vont disparaître et ceux qui sont mieux armés et mieux capitalisés vont dominer le secteur. »
Richard Carleton se veut malgré tout optimiste, voyant le secteur « poursuivre sa croissance » et se réjouissant que le cannabis ait été considéré essentiel pendant l’épidémie : « cela a réduit un peu plus la stigmatisation associée au secteur. Cela a donné à l’industrie une légitimité » conclut l’AFP.