Peut-il y avoir de la fumée sans feu ? Voici l’une des questions soulevées par les chercheurs qui étudient le tabac chauffé : certains craignent que ses risques pour la santé soient sous-estimés, ce que l’industrie du tabac conteste vivement. C’est ainsi que débute une dépêche AFP signée Daniel Lawler que nous reproduisons.
La popularité des produits de tabac chauffés, ou HTP, a explosé ces dernières années alors que l’industrie du tabac se tourne vers la commercialisation d’alternatives « sans fumée » aux cigarettes. Ils sont souvent confondus avec les cigarettes électroniques, qui chauffent un liquide pouvant contenir de la nicotine mais sans combustion de feuille de tabac.
Or, même si de vifs débats existent toujours quant au bénéfice des cigarettes électroniques, les addictologues sont bien plus nombreux à vanter leurs mérites que ceux des HTP. Ces derniers utilisent une chaleur élevée pour décomposer la feuille de tabac, via un processus appelé pyrolyse, qui ne l’enflamme pas et ne la brûle pas, évitant ainsi de créer de la fumée.
•• Le produit le plus populaire et le plus largement disponible, IQOS de Philip Morris International, est un appareil électronique élégant qui chauffe un bâtonnet de tabac, enveloppé de papier, semblable à une cigarette, à une température pouvant atteindre 350 degrés Celsius.
IQOS est disponible dans plus de 60 pays (voir 2 août 2021 et 21 février 2022) selon des réglementations très variées, et distille des saveurs telles que le menthol, la cerise ou le raisin, qui, selon ses détracteurs, contribuent à attirer les jeunes utilisateurs.
Le mois dernier, la Commission européenne a proposé d’interdire les variétés HTP aromatisées (voir 29 juin 2022) après que les ventes de sticks dans l’UE ont grimpé de plus de 2 000 %, passant de 934 millions à près de 20 milliards, entre 2018 et 2020.
« La proposition de la Commission n’est pas étayée par des preuves », a déclaré Philip Morris International (PMI) à l’AFP. Être définis comme « sans fumée » est crucial pour les HTP. Cela permet à leurs producteurs de vendre du tabac sous une réglementation généralement moins restrictive que les cigarettes.
•• Ce mois-ci une analyse de travaux scientifiques d’experts en pyrolyse produite par l’Université britannique de Nottingham a conclu qu’il existait « des preuves chimiques que les émissions d’IQOS correspondent à la définition d’un aérosol et d’une fumée ».
Selon un auteur de l’article, Clément Uguna, les émissions d’IQOS contiennent des composés chimiques qui se trouvent « dans la fumée de tabac normale, la combustion de brousse et la fumée de bois ».
Cette étude, publiée dans la revue ACS Omega, a été relue de manière indépendante et d’autres chercheurs ont salué son intérêt auprès de l’AFP. Elle montre également que des recherches antérieures sur les HTP – dont la majorité a été financée par l’industrie du tabac – avaient comparé les bâtonnets IQOS à une cigarette typique.
Or les sticks IQOS sont beaucoup plus petits, contenant environ 200 milligrammes de tabac contre 645 milligrammes pour une cigarette standard. Pour les chercheurs, Philip Morris International a donc « sous-estimé » les niveaux de composants nocifs et potentiellement nocifs d’IQOS.
Mais pour PMI, l’article est « imparfait » et « trompeur ». « De nombreux experts internationaux en combustion et un certain nombre d’agences gouvernementales ont examiné le même ensemble de preuves et ont conclu que l’aérosol IQOS produit n’est pas de la fumée », a ajouté le groupe.
L’étude de l’université de Nottingham, qui a été financée par l’initiative anti-tabac STOP, a également averti que de nombreux produits chimiques potentiellement nocifs dans le tabac chauffé n’avaient pas encore été mesurés.
•• Le mois dernier, une étude indépendante a découvert pour la première fois du polonium-210 et du 210Pb – des composants radioactifs connus pour être présents dans la fumée de cigarette – dans les émissions d’IQOS, mais en moindre quantité. L’étude a montré que les fumeurs qui passent aux HTP sont susceptibles d’être exposés à des quantités moindres de ces « radionucléides naturels », a relevé PMI.
« Il y a tout lieu de s’inquiéter quand on voit jusqu’où l’industrie du tabac est prête à aller pour manipuler la science et les messages autour des nouveaux produits du tabac », a dit à l’AFP Jamie Hartmann-Boyce du Center for Evidence-Based Medicine de l’Université d’Oxford.
Mais elle a concédé que la communication autour des risques de ces nouveaux produits relevait d’un « équilibre difficile » en raison des dommages écrasants causés par les cigarettes.