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29 Août 2021 | Observatoire
 

La légalisation du cannabis ? L’interrogation n’est pas nouvelle. Elle revient sur le devant de la scène à chaque fait divers lié au trafic de drogue : la légalisation du cannabis, déjà effective chez certains de nos voisins européens, permet-elle vraiment d’assécher le commerce illégal ? 

Ne serait-elle pas plutôt un moyen d’augmenter drastiquement le trafic de drogues dures ? Les dealers ont-ils vraiment les moyens de « rentrer dans le rang » ? Les faits tels qu’analysés dans Le Figaro.fr.

•• Pour répondre de la manière la plus concrète possible à ces interrogations, il convient d’abord de se tourner vers les pays qui ont déjà légalisé le cannabis.

En octobre 2017, l’Institut national des hautes Études de la Sécurité et de la Justice  (INHESJ) et l’Observatoire français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) ont publié un rapport baptisé « Cannalex » concernant l’Uruguay, premier pays au monde à légaliser le cannabis en 2013 (voir 1er décembre 2014) et les deux États américains du Colorado et de Washington, les premiers à légaliser à l’échelle nationale en 2012 (voir 8 novembre 2012).

Avec quelques années de recul, les enseignements de cette étude sont clairs : les marchés illicites perdurent de manière illégale dans chacun des trois sites étudiés. « En Uruguay, la production licite est loin de répondre à la demande des consommateurs (entre 10 et 20 % selon les estimations). Dans les deux États nord-américains,  un segment du marché noir subsiste du faire de l’écart de prix avec le marché licite » souligne l’étude

Avant de conclure : « à ce stade, les activités des groupes criminels transnationaux n’ont pas fondamentalement été remises en cause par la légalisation du cannabis. Les groupes criminels restent encore largement investis dans le marché noir du cannabis et développent d’autres trafics afin d’amortir les pertes économiques occasionnées par l’assèchement partiel des débouchés ».

Selon les chiffres de Statistique Canada, cités par Radio Canada, 60 % de la consommation se faisait toujours de manière illégale en 2019. Une proportion qui grimpe à 82 % pour la Société québécoise du cannabis.

•• «Vous croyez que les gens, s’ils peuvent acheter leur cannabis deux fois moins cher dans la rue, vont se ruer sur les commerces légaux ? », justifie auprès du Figaro Charles Prats, délégué de l’Association professionnelle des Magistrats, qui étudie ce sujet depuis de longues années.

« La légalisation d’un phénomène interdit n’entrave jamais son trafic, mais en change les contours. Regardez les ventes d’armes ou de tabac. Est-ce que la contrebande cesse du fait que la vente légale existe ? Non », analyse de son côté un commissaire de la police judiciaire dans l’ouvrage de la journaliste Claire Andrieux, « La guerre de l’ombre, Le livre noir du trafic de drogue en France ».

Interrogé par Le Figaro, un policier qui souhaite conserver l’anonymat tient le même discours : « il existe bien des concessions de voitures, pourtant, le trafic est bien présent. L’économie parallèle existera toujours ». « Où avez-vous vu que vous prenez autant dans un commerce légal ? », abonde l’interlocuteur policier. De fait, s’il souhaite « rentrer dans le rang », le trafiquant devra payer des charges, des salaires, des impôts et sans doute un loyer, occasionnant un manque à gagner significatif.

•• Mais pour Dominique Duprez, directeur de recherche émérite au Centre de Recherches sur le Droit et les Institutions pénales (CESDIP) et au CNRS, le débat se situe ailleurs:  « les dealers ne sont pas tous multimillionnaires. Quand on est trafiquant, on a des gains, mais aussi des pertes : salaires, marchandises volées, confiscation de douane» souligne d’abord celui qui a longtemps enquêté sur les usages et trafics de drogues, notamment à Lille et en banlieue parisienne.

« Les conditions de vie ne sont pas évidentes. Avec un commerce légal, les dealers pourraient récupérer une sorte de légitimité social », estime-t-il ensuite auprès du Figaro. Favorable à l’idée d’une légalisation, le sociologue plaide notamment pour une « reconversion des dealers ». Si cette mesure est mise en place, « il faudra créer des centres d’insertion pour ces trafiquants et leur famille ».

Un argument qui ne convainc pas Charles Prats : « les types ne vont pas se reconvertir dans l’élevage de hamsters. Ils vont faire de la criminalité plus violente, braquer les systèmes légaux », prévoit le magistrat.

•• En effet, avec une légalisation, les dealers risquent de s’adapter au nouveau marché.

Pour le criminologue Alain Bauer, « les exemples étrangers semblent indiquer que la dépénalisation ou la légalisation provoquent des effets divers et complexes ». Et de citer la « baisse du trafic basique », la « prise de contrôle de la distribution par des organisations criminelles qui en profitent pour se blanchir », mais aussi l’« évolution du trafic vers ce qui reste interdit (crack, cocaïne, héroïne ou cannabis à très fort taux de THC) ».

Le risque de voir les trafiquants de cannabis investir les terrains de la drogue dure est en effet réel. « Les réseaux mafieux existent, sont en place », rappelle Thierry Clair, secrétaire national Unsa-Police, « s’ils ne peuvent plus faire d’argent sur ces produits-là, ils vont en faire sur d’autres », prévient-il.

« On remarque qu’il y a une espèce de transfert dans les quartiers depuis plusieurs années. À cause de la concurrence, certains ont déjà basculé dans le proxénétisme. Si on emmerde les dealers sur le cannabis, ils se tourneront vers d’autres domaines ».

•• « On pourrait mettre en place un cannabis récréatif, avec un taux de THC pas trop élevé et des taxes pour l’État qui serviraient à alimenter le domaine de la prévention. Au moins, l’État engrangerait de l’argent », suggère Thierry Clair. « Mais les trafiquants s’adaptent donc ça ne changera rien : il y aura des propositions parallèles, avec des taux de THC bien supérieurs ».

Et même l’argument financier semble bancal : « si l’État monte un réseau de distribution, il y aura des taxes », souligne Charles Prats, « et qui dit taxes, dit fraude : on va créer un nouveau mécanisme de fraude fiscale et faire la fortune des mecs en face », anticipe le magistrat.