« … La crise sanitaire a également mis en évidence les effets de nos pratiques fiscales et les distorsions occasionnées par la concurrence des fiscalités au niveau européen », démarre une tribune, publiée par Les Échos le 15 décembre et signée Olivier Barbeau (président-fondateur de l’Institut Sapiens, un think tank, et professeur à l’université de Bordeaux).
Pour preuve : la forte hausse des ventes de tabac dans l’Hexagone avec la fermeture des frontières durant le premier confinement … Extraits.
•• « La limitation des déplacements a entraîné une augmentation sensible des ventes de cigarettes dans nos zones frontalières : 71 % dans les zones proches de l’Allemagne, 47 % au voisinage de la Belgique, 45 % du côté de l’Espagne et 23 % à proximité de l’Italie. Les augmentations sont encore plus spectaculaires pour le tabac à rouler et à tuber : 235 %, 188 %, 73 % et 38 % respectivement.
Une telle relocalisation des achats nous montre une nouvelle fois, si besoin était, que la distorsion des prix dans une zone de libre circulation des biens et des personnes entraîne toujours une distorsion des habitudes d’achat.
•• Il faut bien avouer que l’affaire est tentante : si les habitants de la région Nord ou du Grand Est achètent ordinairement leur tabac chez nos voisins belges ou allemands, c’est que le paquet ne leur coûte en moyenne que 6,70 euros – contre 10 euros en France.
L’aubaine est encore plus grande pour les fumeurs voisins des Pyrénées, qui peuvent se procurer un paquet de cigarettes pour 5 euros en Espagne et 3,10 euros en Andorre.
•• Comment expliquer de tels écarts ? Tout simplement par le choix français de mettre en place une taxation comportementale fortement désincitative à la consommation.
Quand vous déboursez 10 euros pour un paquet de cigarettes, vous versez en réalité plus de 8 euros à l’État. Seul un euro revient à votre buraliste et 70 centimes aux industriels. Sur les presque 20 milliards que le marché du tabac représente, les seules taxes pèsent près de 14 milliards en 2020.
On peut certes comprendre la logique de santé publique qui motive officiellement la fiscalité française. Mais on peut également se demander si le niveau de cette fiscalité n’est pas contre-productif.
•• La distorsion fiscale finit toujours par pénaliser le pays le plus zélé en la matière. En raison de la concurrence transfrontalière, un paquet de cigarettes sur quatre est acheté en dehors du réseau des buralistes ; la moitié du tabac à rouler consommé par les Français est acquis chez nos voisins.
Ce déplacement des achats entraîne non seulement une perte fiscale de 3 milliards pour les finances publiques, mais aussi une fragilisation accrue du réseau des 24 500 débitants de tabac, dont 500 sont obligés de mettre la clé sous la porte chaque année.
•• Les ambitions sanitaires de la fiscalité sur le tabac sont-elles au moins remplies ? Cela est difficile à établir car si les achats en France ont nettement diminué, la consommation réelle de tabac des Français est difficile à évaluer avec précision .
La France ne peut plus continuer à faire cavalier seul sur le plan fiscal en Europe en choisissant d’adopter une politique maximaliste à rebours de la stratégie déployée par ses voisins. »