L’interdiction du cannabis s’avère contre-productive car l’État « a donné les clés aux trafiquants », estime auprès de l’AFP le juriste Renaud Colson.
Il publie ce jeudi avec le sociologue Henri Bergeron le livre « Faut-il légaliser le cannabis ? », une question également abordée cette semaine par un rapport parlementaire (voir ce jour). Nous reproduisons cette dépêche.
Question : Pourquoi la France est-elle championne d’Europe de la consommation de cannabis, malgré sa législation parmi les plus strictes du Vieux continent ?
Réponse : La répression est montée en charge depuis les années 90 en France, mais la consommation n’a pas diminué. Les mœurs résistent à la norme, principalement à cause de facteurs culturels. Fumer du cannabis est devenu « cool », d’autant que les médias contre-culturels ont un traitement complaisant du sujet. La présence d’une forte communauté marocaine, dont les anciens fumaient le kif (mélange de poudre de haschich et de tabac, ndlr), peut également jouer.
Par ailleurs, l’efficacité de la répression est extrêmement relative. Elle s’attaque surtout aux jeunes des quartiers populaires, est quasiment indolore pour les autres usagers de cannabis, et est tout à fait marginale par rapport à l’ampleur de la consommation.
Avoir 900 000 usagers fumant au moins un joint chaque jour, ça veut dire qu’il existe au minimum plus de 300 millions infractions à la législation sur les stupéfiants par an en France. Même avec 200 000 interpellations annuelles, le risque de se faire attraper reste mineur et la nouvelle amende forfaitaire n’y changera rien. Malgré un discours très répressif, la réalité c’est qu’on ne contrôle rien et qu’on a donné les clés aux trafiquants.
Q : Légaliser le cannabis améliorerait-il les choses ?
R : Une légalisation contrôlée avec un cadre strict peut être beaucoup plus rigoureuse que cette prohibition mal appliquée. Cela peut permettre de progresser en termes de santé publique et de sécurité, avec l’objectif d’affaiblir le marché noir, qui ne disparaîtra pas complètement mais peut être réduit.
On pourrait limiter la dangerosité du cannabis en garantissant sa qualité et en limitant les formes plus puissantes apparues ces dernières années. Cela améliorerait aussi l’accès aux soins des usagers problématiques: à l’heure actuelle, ils se voient comme des criminels et ont tendance à s’éloigner des institutions sanitaires, perçues comme l’antichambre du tribunal.
On pourrait aussi mener une véritable politique de réduction des risques auprès des jeunes, en réorientant le budget de la lutte contre le cannabis, aujourd’hui consacré à 70 % à l’effort policier, à 20 % à la justice, et seulement à 10 % à la prévention.
Cela pourrait enfin permettre de créer des emplois et peut-être de ramener certaines petites mains du trafic dans la légalité. Mais il ne faut pas fantasmer cet aspect-là: la légalisation du cannabis ne va pas résoudre la question sociale, et l’envisager comme un outil économique risquerait de créer un État dealeur, qui promeut le produit au lieu de l’encadrer. »
Q : Changer la loi peut-il suffire face à un problème aussi complexe ?
R : Légaliser ne veut pas dire grand-chose : les modalités de régulation peuvent être extrêmement variées et nécessitent un véritable débat de société. Croire que légalisation résoudra tous les problèmes serait illusoire.
Au Canada et dans les États américains qui l’ont adoptée, on observe une baisse de la consommation des mineurs et une hausse de celle des seniors. On manque encore de recul, mais on n’a pas assisté à la dislocation de la société et à l’explosion des troubles mentaux promises par les prohibitionnistes. L’interdiction du cannabis va donc être de plus en plus difficile à tenir, partout dans le monde.
En France, le débat est d’une pauvreté qui confine au grotesque. Les connaissances en termes d’addictologie et de sciences sociales sont là, mais les politiques refusent de s’en emparer et préfèrent instrumentaliser la politique des drogues pour en faire un marqueur électoraliste, en oubliant totalement la santé publique.
Replacer cet objectif au centre de nos préoccupations implique d’inventer une législation qui ne soit écrite ni par la police, ni par l’industrie du cannabis, et doit nous pousser à réfléchir à une politique des drogues globale.
Légaliser le cannabis de manière rationnelle, c’est par exemple instaurer aussi un durcissement de l’accès aux drogues légales comme l’alcool et le tabac, que nos enfants se procurent beaucoup trop facilement.