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21 Mar 2022 | Profession
 

En cette période pré-électorale, Le Monde a donné la parole aux lecteurs et électeurs sur des thèmes cruciaux dans le quotidien des Français. Il se trouve que son dernier « Fragments de campagne » (édition du 19 mars) est consacré à la généralisation du Point Paiement de Proximité chez les buralistes (voir 27 janvier 2022, 1er septembre 2021, 27 juillet 2020).

Reportage complet dans la Vienne, signé Camille Bordenet.

Après 25 kilomètres de départementale depuis Poitiers, « Le Relais de la Boivre » se présente comme une halte, sur la placette de l’église de La Chapelle-Montreuil (700 habitants). Sur la devanture bleue de ce bar-tabac-restaurant pourraient s’accoler bien d’autres traits d’union : dépôt de pain, presse, épicerie, colis, Française des jeux (FDJ), vente de cartes de pêche … Plus un service au tampon bleu-blanc-rouge : le « paiement de proximité ». Outre les amendes et les timbres fiscaux, les habitants peuvent, depuis 2020, s’acquitter de leurs factures du quotidien chez les buralistes.

•• « Rendre service, au plus près » : c’était le souhait d’Anne-Marie Daillet, 26 ans, et de son compagnon, Stéphane Wozniak, 51 ans, en reprenant ce commerce rural, en 2017. « Dans les villages qui ont perdu commerces et services publics, on est parfois les derniers recours », dit-elle.

À La Chapelle-Montreuil, sans ce zinc à tout faire, les habitants n’auraient quasi aucun service de proximité, hormis la mairie et l’agence postale, aux horaires réduits, un médecin, un garagiste, une coiffeuse. Le couple a également créé un marché et codirige le club de foot. Ce mardi 15 mars, ça n’arrête pas, de l’embauche à 7 heures au coup de feu de midi : 11,50 euros la formule complète et discussion entre les tablées. Chez SAM (l’autre nom de l’établissement), on est ouvert treize heures par jour, cinq jours et demi sur sept.

•• « Ce lieu représente tout : le QG, le point de rencontre », déclare Camille, une cliente. Avec son mari, ils ont quatre enfants et presque autant de factures de cantine. Une facilité de pouvoir désormais les régler ici, en même temps qu’économiser du carburant, tandis que chaque trajet s’examine.

Avant, ils poussaient jusqu’à la trésorerie de Vouillé, à 13 kilomètres, et trouvaient parfois porte close. Elle s’apprête à fermer, comme bien d’autres, conséquence d’une réorganisation nationale et de la dématérialisation des services publics. Les usagers sont ainsi invités à régler leurs factures en ligne ou, pour ceux qui ne le peuvent, chez les buralistes : 12 400 étaient agréés fin 2021, près d’un sur deux, dans 6 500 communes.

•• « Notre rôle de préposés de l’administration s’est renforcé » estime Jean Durand, buraliste à Vouillé depuis vingt-deux ans et représentant de la Confédération des buralistes dans la Vienne. « On est le drugstore des temps modernes et le relais de certains services publics. »

La FDJ et la Confédération des buralistes prévoient d’élargir le dispositif à d’autres factures du quotidien, : gaz, électricité, eau, bailleurs … Bercy estime à 6 millions le nombre de foyers qui envoient des chèques ou se rendent aux guichets. Ce sont souvent des personnes âgées, ou en difficulté. Jean Durand observe, lui, des demandes récentes d’étalement de paiements.

Camille et son mari pourraient régler leurs factures derrière leur ordinateur, mais ils préfèrent le faire au bar-tabac, « l’occasion de discuter, sinon c’est la mort de nos villages ». C’est aussi important pour les personnes peu mobiles et pour tous les éloignés du numérique.

•• Anne-Marie Daillet ne se contente pas d’encaisser les factures : elle dépanne ceux qui ont du mal à remplir en ligne des formulaires Cerfa ou à utiliser leur tablette. Un guichet à elle seule. Si elle aime aider, elle estime que l’État devrait compenser davantage ce qu’il délègue : « on prend du temps, on remplace un agent, pour 1,50 euro par encaissement de créance, moins les frais bancaires. »

Non rentable, ce service participe néanmoins à maintenir la clientèle, qui consomme au passage, à l’heure où les buralistes doivent se diversifier pour lutter contre le recul des ventes de tabac. Certains gèrent des comptes bancaires Nickel – pour les personnes précaires, notamment –, vendent des billets SNCF sur des bornes, s’équipent de distributeurs de billets pour pallier leur pénurie …

•• Reste que ces petits commerces sont fragiles, surtout en zone rurale. En dépit de certaines aides, les confinements ont été rudes. « Ici, on y arrive parce que le village joue le jeu », dit Anne-Marie Daillet. Le couple se dégage un salaire pour deux.

Sans leur présence, Héloïse Martel ne sait pas comment elle s’en sortirait, mère au foyer avec cinq enfants : « je serais obligée de me taper 40 kilomètres pour tout : les factures de cantine fois cinq, l’électricité, les colis. » Impossible, dit-elle, avec le prix du gasoil et le seul salaire de couvreur de son mari. Les factures sont déjà dures à payer, le système D inévitable : des ventes sur Vinted (vente de seconde main), un potager, des poules, Lidl… « Tôt ou tard, on sera tous obligés de revenir à l’ancienne avec un jardin. On sera bien contents d’avoir encore ces petits commerces. »

•• Enfants, Camille et Damien Auger pouvaient « tout faire à pied ». Ils égrènent les services qu’ils ont vus disparaître, avant que l’État ne mette les voiles. Ils souhaiteraient que l’économie « se casse la figure pour repartir de zéro, s’entraider, arrêter d’aller chercher loin ». De la présidentielle, ils n’attendent « rien ».

Une usure qu’Anne-Marie Daillet et Stéphane Wozniak observent de leur comptoir, devenu un « défouloir ». La guerre en Ukraine et la flambée des prix des matières premières tétanisent artisans et agriculteurs.

Lasse de cette campagne « d’appels d’offres « , la jeune femme, enceinte de quatre mois, a décidé qu’elle n’irait pas voter, cette fois. Elle voudrait que les petits commerces, derniers représentants de l’État dans certains villages, soient davantage soutenus, les charges et les taxes allégées … Son engagement à elle est de rendre service, chaque jour ou presque, de 7 heures à 20 heures. « Il nous faudrait un Coluche », lance-t-elle.