Dans son édition de ce jour, Le Figaro publie un article de Karen Lentschner sur le marché du tabac. En voici l’essentiel.
La crise sanitaire a ramené une partie des fumeurs vers les bureaux de tabac. Depuis le confinement instauré mi-mars 2020, fermetures des frontières et restrictions de déplacement ont incité les fumeurs habitués au marché parallèle des cigarettes à revenir chez les buralistes, qui ont le monopole de la vente de tabac en France.
La hausse des ventes a été particulièrement marquée au deuxième trimestre (+5,1% en volumes, +19,1 % en valeur) et au quatrième (+0,6% en volumes, +12,8 % en valeur).
•• « Notre réseau a fait preuve de résilience lorsqu’il s’est brutalement retrouvé à traiter des volumes importants », se félicite Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes. « Il a retrouvé sa plénitude en pleine tempête ». Cela a permis aux buralistes de connaître une embellie après plusieurs années de baisse des volumes. S’il a été stable en volumes (-0,5 %), le marché légal a crû de 12,6 % en valeur, à 21,8 milliards d’euros, profitant des hausses des prix.
Le marché parallèle du tabac (achats transfrontaliers, contrebande, contrefaçon), en pleine expansion ces dernières années avec la flambée des prix chez les buralistes, a chuté avec le confinement. Entre 2017 et 2019, la part des cigarettes fumées en France mais achetées en dehors du réseau légal était passée de 24,6 % à 30,2 %. Une proportion retombée à 24,4 % au deuxième trimestre 2020.
Les buralistes ont récupéré une partie des achats transfrontaliers, rendus compliqués, voire impossibles par les restrictions sanitaires et l’effondrement du nombre de vols long-courriers. Au deuxième trimestre, la fermeture des frontières a porté un coup d’arrêt à ces achats, dont la part est tombée à 12,1 %. Beaucoup de Français ont, en effet, pris l’habitude ces dernières années de se rendre en Espagne, en Andorre ou en Belgique pour acheter leurs cigarettes environ 50 % moins chères. Ce circuit parallèle n’a cessé de progresser, passant en deux ans de 11,52 % à 16,41 % de la consommation totale.
•• « Depuis 2017, l’augmentation de la fiscalité sur les produits du tabac a dépassé les 40 %, incitant les consommateurs à sortir du réseau des buralistes, déplore Hervé Natali, responsable des relations territoriales de Seita. Or, lorsqu’ils en partent, on les a souvent définitivement perdus. »
2020 a aussi mis en lumière la part croissante de la contrefaçon depuis 2018. « Avec la fermeture des frontières puis les restrictions de déplacement, la contrefaçon restait la dernière porte ouverte pour acheter des cigarettes à bas prix », commente Daniel Bruquel, responsable de la prévention du commerce illicite chez Philip Morris France. Si les cigarettes contrefaites représentaient à peine 2 % des ventes totales en 2019, leur part a atteint 8,8 % sur les trois premiers trimestres de l’année 2020, culminant à 15,3 % au troisième trimestre, selon les sondages de la profession (Empty Pack Survey). Elle atteint des sommets à Marseille (20 %) et Paris (autour de 15 %). « Le prix ne peut être la seule solution dans la politique de santé publique », martèle Vincent Zappia, responsable des affaires publiques de British American Tobacco.
•• L’accélération des ventes issues de la contrefaçon remonte à 2019. La France est alors le deuxième pays européen (après le Royaume-Uni) qui connaît la plus forte progression de la consommation de cigarettes contrefaites (+82%), selon le rapport du cabinet KPMG. Soit 42 millions de paquets au total… Les cigarettes viennent essentiellement d’Espagne, de Belgique et d’Algérie, fabriquées et vendues par des « truands chevronnés disposant de vastes entrepôts et usines, avec les mêmes modes opératoires que les trafiquants de stupéfiants », explique Daniel Bruquel. 128 usines clandestines ont ainsi été démantelées dans l’UE l’an passé (contre 93 en 2019). À Molenbeck, près de Bruxelles, l’une d’entre elles fabriquait 50 000 paquets par jour, essentiellement revendus en France.
•• Les marques premium sont les premières victimes de ce phénomène en raison de leur prix. Marlboro (Philip Morris), numéro un du marché, dont le prix a franchi il y a un an la barre des 10 euros, représente à elle seule trois quarts des volumes. Il faut compter entre 3 et 5 euros selon les pays pour un paquet de marque. « L’impact financier est évidemment conséquent puisque ce sont plusieurs millions d’euros qui nous échappent, résume Daniel Bruquel. Mais cela pose aussi un problème grave en termes d’image, car ce sont nos produits qui sont copiés et nos marques détournées, avec un risque pour la santé de nos consommateurs. » Pour l’État, le manque à gagner est conséquent. Les pertes fiscales ont été estimées par Seita à 1,9 milliard d’euros l’an passé. Soit plus de trois fois plus qu’en 2019.