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26 Déc 2018 | Trafic
 

Intéressante, cette étude réalisée par Mathieu Zagrodzki et Romain Maneveau, sur le trafic illicite de cigarettes à Paris et en proche banlieue, pour le compte de Fondapol, la Fondation pour l’innovation politique : « Commerce illicite de cigarettes : les cas de Barbès-La Chapelle, Saint-Denis et Aubervilliers-Quatre-Chemins » (voir Lmdt du 10 décembre 2018).

Mathieu Zagrodzki est chercheur en sciences politiques, spécialiste des questions de sécurité. Romain Maneveau, consultant au sein du cabinet Néorizons, spécialisé dans les politiques publiques.  Ils ont récemment livré leurs conclusions à 20 Minutes.fr.

•• « Dans le 18ème arrondissement de Paris, autour du métro Barbès-Rochechouart, il y a en permanence entre 20 et 50 vendeurs. Près du métro La Chapelle, il y en a une petite trentaine, présents surtout en fin de journée.

À Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), les vendeurs de cigarettes qui sont sur le parvis de la gare sont moins visibles. Ils se mélangent aux vendeurs de maroquinerie, de brochettes, d’accessoires de téléphonie mobile … Mais sur la place du 8 mai 1945, ils sont une vingtaine (voir Lmdt des 16 et 2 novembre ainsi que du 3 février 2018).

« À Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), sur le carrefour Quatre-Chemins, les vendeurs travaillent devant les boutiques. Il y a ici une particularité : en plus de la vente aux passants, ils ont organisé des drive-in, les acheteurs ne sortant pas de leur voiture pour acheter leurs cigarettes » (voir Lmdt du 8 avril 2015).

•• « Il y a les cigarettes de contrebande, produites dans des pays situés en dehors de l’Union européenne, au Maghreb par exemple, où les normes sanitaires sont différentes. Et il y a les cigarettes de contrefaçon, qui proviennent souvent d’ex-URSS. Elles ne répondent évidemment à aucune norme et sont encore plus nocives que celles confectionnées en Europe ».

•• « Pour les vendeurs, il s’agit presque exclusivement d’hommes âgés de vingt à quarante ans. D’une façon générale, nous sommes sur des filières communautaires sur les trois sites, en particulier de pays du Maghreb.

« À La Chapelle, la configuration est un peu particulière toutefois, avec une économie de la misère qui s’est développée depuis la période où des tentes s’étaient installées sous le métro aérien. On peut ainsi retrouver des vendeurs d’autres communautés, d’Afghanistan notamment, qui ont trouvé ce moyen pour subsister. La vente de cigarettes est assez récente sur ce point particulier et il y a toujours des frictions autour du territoire, avec des rixes que les riverains dénoncent régulièrement. Mais pour bien comprendre ces phénomènes, il faudrait en savoir davantage sur les profils de ces différents groupes et nous allons d’ailleurs prolonger notre recherche sur ce sujet-là. »

« D’un côté, il y a des vendeurs qui subsistent en vendant des cigarettes qu’ils se procurent à droite à gauche. Mais il y a aussi des réseaux plus structurés. Les investigations menées par les services de police chargés de la lutte contre l’immigration clandestine ont d’ailleurs d’interpellé des passeurs qui organisaient un commerce illicite de cigarettes. Pour cela, ils employaient illégalement des migrants. »

« L’espace est saturé par les vendeurs. Cela montre le niveau de structuration de la vente : ils ne se font peut-être pas autant en concurrence que ce que l’on croit » (voir Lmdt du 27 mai 2018).

•• « Au regard du nombre important de vendeurs, il est permis de penser que cette activité fonctionne très bien. Des policiers m’ont confié qu’une boutique de tissu dans le 18e arrondissement avait servi de banque clandestine. Ils avaient découvert et saisi près de 900 000 euros en liquide, provenant largement du commerce illicite. Cela donne une bonne idée du volume des ventes. Se pose également la question de l’écoulement des sommes. L’enjeu, pour eux, c’est de faire sortir ces sommes du territoire français. »

•• « Les autorités ont bien conscience du problème mais reconnaissent qu’il est compliqué à traiter. Le fait que les risques encourus soient peu nombreux peut expliquer l’ampleur du phénomène. En outre, la chaîne pénale est obstruée. Un policier ne va donc pas toujours prendre la peine de placer un vendeur en garde à vue sachant que le parquet ne va pas le poursuivre.

« Les policiers ne minimisent pas le phénomène. Ils sont conscients que la vente illicite de tabac génère tout un tas de problèmes : des rixes entre vendeurs, des menaces à l’égard des riverains, des difficultés à circuler… En fait, ils sont presque plus préoccupés par ces effets secondaires que par la vente de quelques cartouches de cigarettes. Ils vont dresser quelques PV, saisir une vingtaine de paquets. Mais dès qu’ils repartent, les ventes reprennent. »

« L’effet immédiat des PV dressés par les policiers est minime, surtout face à un phénomène d’une telle ampleur. Mais ils estiment qu’en ciblant la vente à la sauvette, on traite, par là même, la question du sentiment d’insécurité. »

•• « Verbaliser les acheteurs ne serait pas miraculeux. Cela réduirait la visibilité du phénomène sur la voie publique, mais les vendeurs se disperseraient ou seraient davantage présents sur Internet. Selon nous, il serait plus efficace de mettre en place une politique transversale, impliquant les forces de l’ordre, la justice, les douanes, les municipalités, car aucune de ces institutions ne peut y arriver seule. D’ailleurs, notre étude montre que ce sont les opérations conjointes qui fonctionnent le mieux, à travers quelques exemples qui nous ont été relatés (voir Lmdt des 24 et 29 novembre 2018).

« Il est aussi possible de toucher les acheteurs en jouant sur leur conscience sociétale et politique. De leur expliquer qu’en achetant des cigarettes sur les trottoirs, on encourage un système mafieux, que l’État perd de l’argent en ne percevant pas les taxes, qu’ils prennent des risques en consommant des cigarettes à l’hygiène douteuse. »