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11 Mai 2016 | Observatoire
 

Femme enceinteRémunérer des femmes enceintes pour les inciter à s’arrêter de fumer ? Testée dans seize maternités, cette méthode (voir Lmdt des 6 et 8 mai), résolument bénévole, est une approche positive plus efficace que la culpabilisation, estiment des spécialistes dans une dépêche AFP de ce mardi 10 mai.

En un mot : la récompense vaut mieux que la stigmatisation. 

michel-lejoyeux• « Imaginer qu’être enceinte est une motivation suffisante pour arrêter un comportement toxique revient à ne pas mesurer le potentiel d’emprise physiologique et psychologique que représentent les substances psycho-actives », explique le professeur Michel Lejoyeux, responsable du département de psychiatrie et d’addictologie Bichat-Beaujon.

La grossesse est une façon de faire une « vraie séparation » entre les consommatrices occasionnelles qui vont tout simplement arrêter de fumer pour protéger leur bébé et les dépendantes. Bien que conscientes de la toxicité du tabac, ces dernières ne peuvent s’en passer « pour des raisons biologiques et   psychologiques », dit-il.

« Dans un nombre considérable de cas, l’addiction se poursuit dans la honte et la culpabilité », constate le professeur. Et répéter à une femme enceinte que le tabac est mauvais pour son bébé n’est pas forcément efficace.

D’ailleurs, qui prête une quelconque efficacité au logo « femme enceinte », mis en place en septembre dernier (voir Lmdt des 10 et 15 avril 2015) ?

michel Reynaud addiction• « L’addiction, c’est le détournement des circuits de la récompense vers une récompense unique qui est le produit. Le sujet a un besoin compulsif de la consommation de son produit. Quand il ne l’a pas, il est mal et c’est ce produit qui l’apaise », décrit le professeur Michel Reynaud, du Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Hôpital Paul Brousse de Villejuif.

Offrir des bons d’achats peut ainsi agir positivement en activant un processus de plaisir : « le sujet saisit une autre récompense possible qui vise à faire contre-poids à ce besoin massif du produit ».

« On sait que dans les dépendances graves, cette stratégie est efficace. Aux Etats-Unis, elle est testée depuis au moins dix ans sur les sujets dépendants à la cocaïne avec de bons résultats et meilleurs que les résultats des autres thérapies », explique-t-il.

« Cette méthode est certes contre-intuitive. Mais il faut encourager les sujets dépendants plutôt que de les punir ou leur faire honte. Il faut les accompagner dans leurs difficultés plutôt que des les pointer du doigt », ajoute-t-il.

Ivan Berlin• Et face aux potentielles critiques sur le principe d’une rémunération des fumeurs ou sur le coût d’une telle méthode, poursuit l’AFP, le Professeur Ivan Berlin (médecin à l’Hôpital Pitié-Salpêtrière qui dirige l’étude financée par l’Institut national du cancer) met en avant les économies qu’elle génère. Car les coûts associés à la prise en charge par exemple de bébés prématurés ou de faibles poids devraient diminuer.

« Le tabac est tellement toxique pour les bébés que tout investissement est utile à partir du moment où il démontre son efficacité », estime-t-il.

Et de citer une équipe écossaise qui a déjà étudié l’efficacité de cette méthode. Ses travaux avaient été publiés fin janvier 2015 dans la revue médicale britannique BMJ : 23% des femmes ayant reçu une incitation financière étaient parvenues à arrêter la cigarette contre 9% parmi celles qui n’avaient reçu aucune rétribution.