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28 Fév 2020 | Trafic
 

« Non-stop », « structurée » et « beaucoup moins risquée » que celle des stupéfiants : la vente de cigarettes de contrebande, établie surtout au nord de Paris et sa proche banlieue, est une activité prospère pour les trafiquants, enhardis par les hausses du prix du tabac, annonce l’AFP dans un reportage complet de Fanny Lattach.

« Quatre euros ! », « Cinq euros ! », répètent une rangée d’hommes, paquets de cigarettes bien visibles, sur une place fréquentée de Saint-Denis en plein après-midi (voir 27, 18 et 6 février).

•• Dans cette ville défavorisée de quelque 111 000 habitants en Seine-Saint-Denis, l’un des hauts lieux de vente à la sauvette, ces petites mains alpaguent le chaland sans se cacher. Si elles ne lambinent pas, elles écouleront leur maigre stock avant l’arrivée de la police, dont la présence suffit à les faire détaler.

Les transactions s’opèrent également en « drive-in » : l’automobiliste n’a même pas besoin de sortir de son véhicule pour récupérer ses achats.

•• « Le trafic se renforce à chaque fois que le prix du tabac augmente » souligne-t-on du côté des autorités. Au 1er mars, le prix du paquet de Marlboro, marque la plus vendue en France, atteindra la barre symbolique des dix euros (voir 11 février et ce jour).

Les « boîtes » (« cartons » de cartouches, dans le jargon) de contrebande proviennent d’Europe de l’Est ou du Maghreb. La bonne marchandise s’écoule jusqu’à six euros le paquet : « à quatre euros, c’est du foin, un truc dégueulasse » tranche cette source. Dernier maillon du trafic, « les fourmis » sont « des tâcherons, ils prennent cinq paquets, les vendent et vont en rechercher » d’autres, explique-t-elle. La grande majorité sont des hommes majeurs en situation précaire, sans papiers.

« Les gars qui font ça sont dans la dèche » confie Youssef, 27 ans, lui-même vendeur depuis six mois, installé près de la gare de Saint-Denis. Une activité illégale temporaire, assure cet Algérien en situation irrégulière qui estime « ne rien faire de mal ». « Les bons mois je fais 500, 600 euros. Je paie le loyer, je mange et j’envoie 150 euros au bled » énumère ce père de famille, dont l’œil droit porte encore les stigmates d’une récente agression. Maintenant il fait des horaires de bureau : « 14h-17h. Je vends plus la nuit … c’est dangereux ».

•• En 2019, la douane française a saisi environ 360 tonnes de tabac et cigarettes de contrebande – un record – soit 162 millions d’euros en valeur siphonnés par les circuits clandestins (voir 4 et 5 février).

•• Dans ce monde interlope, les trafiquants de cigarettes diffèrent des dealers de stupéfiants. « Ce ne sont pas les mêmes logistiques, pas les mêmes réseaux. Ça rapporte moins mais c’est régulier, non-stop » analyse une source. Si Youssef tait l’identité de son fournisseur, il garantit ne tirer qu’un euro de bénéfice par paquet vendu.

À Saint-Denis, des policiers sont mobilisés pour interpeller les vendeurs et remonter les réseaux, mais aussi sanctionner les acheteurs, passibles d’une contravention de 135 euros. Des contrôles renforcés sont aussi réalisés dans le nord-est de Paris.

•• Le trafic s’organise selon un schéma pyramidal classique : vendeurs, responsables de points de vente, ravitailleurs, intermédiaires et grossistes. Les stocks sont cachés dans des parkings, des locaux d’entreprise ou au vert, dans des pavillons privés.

« Il se concentre sur la petite couronne », dans des villes de fort passage, commente un policier du syndicat Unité SGP-FO du Val-d’Oise. Dans ce département voisin, la contrebande donne lieu à quelques saisies mais demeure, pour l’heure, sous les radars.

Certains trafiquants se retrouvent devant la justice, comme ce quadragénaire qui comparaissait en février devant le tribunal de Bobigny pour revente illégale de cigarettes et surtout le stockage de 2 065 cartouches chez lui à Aubervilliers, soit 143 000 euros non déclarés. « Le prévenu s’inscrit dans ce business », « à caractère international » et « beaucoup moins risqué que le trafic de stupéfiants », concluait le parquet. La « nourrice » écopera de six mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende.

De son côté, Youssef raconte que la BAC lui a un jour saisi ses cartouches pour un montant d’environ 1 200 euros : « j’ai tout perdu en deux minutes ! ». Ce qui ne l’a pas empêché de continuer.