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13 Déc 2016 | International, Vapotage
 

« Un danger majeur pour la santé publique », c’est ainsi que le directeur de la Santé publique aux États-Unis (le « Surgeon General »), le médecin chef Vivek H. Murthy (à droite), a qualifié la cigarette électronique dans un important rapport (300 pages réalisées par une centaine d’experts), publié le 9 décembre dernier.

Dans un article de ce lundi 12 décembre, la revue Sciences et Avenir relativise l’impact (scientifique et médiatique) de l’étude rappelant qu’elle se concentre sur le vapotage des adolescents et des jeunes adultes (moins de 25 ans) et ignore « volontairement » son rôle éventuel dans la sortie du tabagisme.

•• « Tous les Américains doivent savoir que les cigarettes électroniques sont dangereuses pour les adolescents et les jeunes adultes », insiste Vivek Murthy au regard des chiffres du rapport estimant que l’utilisation de la e-cigarette avait augmenté de 900 % parmi les lycéens américains (16 % des élèves ayant vapoté en 2015, contre 13,4 % l’année précédente / voir Lmdt du 17 avril 2015).

Trois axes sont développés pour soutenir cette position. D’abord, le rôle de la nicotine, à même de créer une dépendance à tout âge et d’avoir des effets sur le cerveau en développement des jeunes.

Ensuite, les aérosols produits par le vapotage qui pourraient exposer les autres à des substances chimiques potentiellement dangereuses.

Le dernier étant la porte d’entrée du tabac chez les jeunes. Celui-ci serait en effet « fortement lié à l’usage d’autres produits du tabac chez les adolescents et jeunes adultes ».

•• La publication du rapport américain a fait réagir nombre d’experts en santé publique qui travaillent sur l’intérêt potentiel de la cigarette électronique comme outil de sevrage tabagique.

Contacté par Sciences et Avenir, le Dr Lion Shabab de l’University College London regrette que le rapport adopte « une courte vue sur le potentiel de la e-cigarette en tant qu’outil de réduction des risques du tabagisme, tout en exagérant ses potentiels effets néfastes (…)  À l’inverse du tabac fumé qui utilise la combustion pour délivrer dans les poumons de la fumée contenant de la nicotine, du goudron et de nombreuses substances toxiques, les cigarettes électroniques ne brûlent pas de tabac. Il est donc trompeur de classer la e-cigarette comme un produit du tabac ».

Même son de cloche du côté du Dr Lynne Dawkins de la London South Bank University, également contactée par la revue, qui regrette qu’« en choisissant de se concentrer sur les jeunes et d’ignorer que la e-cigarette est une alternative moins dangereuse pour les adultes fumeurs, le rapport se rend incapable de mesurer adéquatement la balance des bénéfices et des risque ».

Pour Michael Siegel, professeur à l’école de santé publique de l’université de Boston, « le rapport est scientifiquement malhonnête ». Sur son blog, il pointe à l’instar de ses confrères que « le vapotage n’est pas une forme d’utilisation du tabac » et insiste sur la prévalence tabagique à un niveau historiquement bas aux États-Unis, passée sous la barre des 40 millions (voir Lmdt du 28 novembre 2015).

•• En ce qui concerne les effets de la nicotine sur le développement du cerveau, les trois experts s’accordent à dire qu’ils ne sont pas avérés. Les seules données disponibles sur cette question reposent sur des recherches animales, essentiellement des rongeurs.

•• Le Dr Shabab résume ainsi la pensée des scientifiques qui voit dans l’e-cigarette un outil de réduction des risques : «il est clair que dans un monde idéal, les adolescents ne consommeraient ni cigarette ni e-cigarette. Mais la réalité, c’est qu’en dépit de décennies d’efforts pour réduire le tabagisme, le plus dangereux des produits du tabac – la cigarette – est encore un produit de consommation parfaitement légal ; alors même qu’il rend non seulement dépendant mais tue aussi ses consommateurs.

De fait, chaque année, des milliers d’adolescents commencent à fumer des cigarettes. Or, si les e-cigarettes peuvent détourner les adolescents du tabac fumé, elles auraient très probablement un effet bénéfique sur la population.

Il faut savoir que l’usage quotidien de e-cigarettes chez les jeunes reste extrêmement rare, et est d’abord le fait de ceux qui fument déjà. En exagérant les dangers de la e-cigarette et en ignorant son potentiel d’outil de réduction du tabagisme, y compris chez les adolescents, le rapport du Médecin chef des États-Unis pourrait avoir des conséquences non souhaitées et conduire plus de jeunes vers des produits du tabac fumé ».

•• Selon Bertrand Dautzenberg, les conclusions du Surgeon General se rapprochent de celles dressées par le pneumologue dans le rapport de l’Office Français de prévention du Tabagisme (OFT) de 2013, qui insistait notamment sur l’interdiction de vente aux mineurs et sur la nécessité d’en savoir davantage sur la potentielle toxicité de la vape (voir Lmdt du 23 mai 2013).

En revanche, « un point de désaccord porte sur l’affirmation que les jeunes utilisent surtout des e-cigarettes avec nicotine alors qu’en France, cela est très clair, les jeunes non-fumeurs utilisent à plus de 60 % des e-cigarettes sans nicotine, la nicotine est surtout utilisée par ceux qui ont commencé à fumer du tabac et utilisent la cigarette électronique pour fumer moins ou sortir du tabac ».

Et le pneumologue de conclure, non sans une certaine ironie : « merci au Surgeon General US de suivre avec trois ans de retard l’attitude assez exemplaire qu’a eu la France en matière d’e-cigarette, malgré les tensions et les incompréhensions qui persistent ».